Le point de la Cour de cassation sur le préjudice spécifique de contamination
La jurisprudence a consacré la notion de préjudice spécifique de contamination, dans un premier temps pour les cas de contamination de l’immunodéficience humaine (VIH) puis, dans un deuxième temps, pour les cas de contamination par le virus de l’Hépatite C (VHC).
Selon la jurisprudence, le préjudice spécifique de contamination est un préjudice exceptionnel qui constitue « l’ensemble des préjudices de caractère personnel tant physiques que psychiques et résultant notamment de la réduction de l’espérance de vie, des perturbations de la vie sociale, familiale et sexuelle ainsi que des souffrances et de leur crainte consécutives et inhérentes à la maladie dont est atteinte la victime ».
Cette définition a été progressivement affinée.
Par un arrêt du 04 juin 2025 (courdecassation.fr), la Cour de cassation confirme sa position antérieure et précise le délai de prescription applicable aux actions judiciaires tendant à l’indemnisation des préjudices résultant d’une contamination.
Les faits et la procédure :
Une patiente a subi, entre 1981 et 1988, des scléroses de varices réalisées par deux médecins phlébologues, avant d’apprendre en 2002 qu'elle était contaminée par le virus de l'hépatite C (VHC).
Imputant sa contamination aux soins prodigués par ces médecins, elle les a assignés. Etant décédée en cours de procédure, ses héritiers ont repris la procédure.
Les professionnels de santé mis en cause ont contesté l'imputabilité de la contamination aux soins prodigués et opposé, à titre subsidiaire, la prescription de la demande formée au titre du préjudice spécifique de contamination.
Le lien de causalité entre les scléroses de varices et la contamination et la responsabilité des médecins ayant été retenus, ceux-ci ont été condamnés à indemniser le préjudice spécifique de contamination.
Les juges d’appel ont toutefois considéré que l’action de la victime était prescrite, l’action ayant été initiée après l’expiration du délai de recours.
La Cour de cassation se prononce sur ces deux points.
La définition du préjudice de contamination :
La Cour de cassation confirme sa jurisprudence antérieure, rappelant la définition de ce préjudice :
« le préjudice spécifique de contamination, qui répare un dommage corporel, comprend l'ensemble des préjudices de caractère personnel tant physiques que psychiques résultant du seul fait de la contamination et inclut, outre les perturbations et craintes éprouvées, toujours latentes, concernant l'espérance de vie et la crainte des souffrances, les perturbations de la vie sociale, familiale et sexuelle et les préjudices esthétique et d'agrément générés par les traitements et soins subis, ainsi que le seul risque de la survenue d'affections opportunistes consécutives à la contamination. Il n'inclut ni le déficit fonctionnel, ni les autres préjudices à caractère personnel liés à la survenue de ces affections. »
Une prescription dépendante de la notion de consolidation :
La Cour de cassation écarte la prescription, affirmant que le délai de recours ne court qu’à compter de la consolidation de l’état de santé de la victime et que seul le délai de prescription légal alors en vigueur doit s'appliquer :
« 11. Pour déclarer irrecevable comme prescrite la demande d'indemnisation d'un préjudice spécifique de contamination, après avoir fixé la date de la consolidation en 2009, l'arrêt retient que l'article L. 1142-28 n'est pas applicable dès lors que le préjudice spécifique de contamination existe indépendamment de toute notion de consolidation, que l'action en responsabilité contractuelle, était régie, avant la loi du 17 juin 2008, par l'article 2262 du code civil, lequel avait pour point de départ la manifestation du dommage, soit, en matière de préjudice de contamination, la révélation même de la contamination, que l'article 2224 du code civil a ramené le délai de prescription de trente ans à cinq ans pour les actions personnelles ou mobilières, que les dispositions transitoires de la loi du 17 juin 2008 se sont appliquées aux prescriptions en cours non encore acquises à cette date, sous réserve de ne pas dépasser le délai de prescription initiale, que Mme [C], ayant eu connaissance de sa contamination en décembre 2002, pouvait agir jusqu'en décembre 2032, que son délai d'action s'était trouvé réduit à cinq ans par l'article 2224 du code civil, de sorte qu'elle devait agir en réparation de ce préjudice au plus tard le 19 juin 2013 et qu'à la date des assignations, son action était prescrite.
12. En statuant ainsi, alors qu'à la date des soins était en vigueur le délai de l'article 2262 du code civil, qui n'a pu courir tant que le dommage subi par Mme [C] n'était pas consolidé, et qu'en l'absence d'applicabilité de l'article L.1142-28 du code de la santé publique eu égard à la date des soins et à la durée de la prescription antérieure, l'action en réparation de l'ensemble de son dommage corporel s'est trouvée soumise au délai de dix ans de l'article 2226 du code civil, courant à compter de la consolidation constatée en 2009, de sorte que cette action n'était pas prescrite en 2017, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »
Il s’agit là d’une solution juste et logique puisque, d'une part, les contaminations constatées sont anciennes et, d'autre part, seule la consolidation permet de connaître l'étendue des préjudices d'une victime et de considérer que le droit à réparation correspondant est entré dans son patrimoine.
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