Procédure de limitation ou d’arrêt des traitements : quelle responsabilité pour les médecins ?
L’article R. 4127-37 du code de la santé publique prévoit la mise en œuvre d’une procédure collégiale afin de décider de la limitation ou de l’arrêt du traitement d’un patient en fin de vie, devant notamment associer le patient ou ses représentants légaux.
Le non-respect de cette procédure engage-t-elle la responsabilité des professionnels de santé ?
Le Conseil d’Etat vient de répondre à cette question.
Les faits et la procédure :
Une résidente d’un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) relevant d’un centre hospitalier a été retrouvée au matin aréactive dans son lit. A la suite d'un examen médical clinique effectué le même jour et faisant suspecter un accident vasculaire cérébral compromettant son pronostic vital, l'établissement a décidé de ne pas la transférer pour des explorations complémentaires ou une éventuelle réanimation, d'arrêter les traitements dont elle bénéficiait pour d'autres pathologies et de mettre en place une prise en charge palliative.
Elle est décédée deux jours plus tard dans cet établissement.
Le fils de la défunte a sollicité l'indemnisation de ses préjudices résultant du décès de sa mère.
Tant le tribunal administratif que la cour administrative d’appel ont rejeté sa demande.
Il a alors exercé un pourvoi devant le Conseil d’Etat, faisant notamment valoir que l’absence de respect par les professionnels de santé de la procédure de fin de vie et les conditions dans lesquelles il a appris le décès de sa mère engagent la responsabilité du centre hospitalier.
La responsabilité médicale à l'origine d'un préjudice moral :
Par un arrêt du 04 juillet 2025 (legifrance), le Conseil d’Etat fait droit à l’argumentation du requérant.
Il rappelle d’abord la loi applicable :
"- Aux termes de l'article L. 1110-5 du code de la santé publique : " Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l'ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. (...) ". Aux termes de l'article L. 1110-5-1 : " Les actes mentionnés à l'article L. 1110-5 ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu'ils résultent d'une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu'ils n'ont d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d'état d'exprimer sa volonté, à l'issue d'une procédure collégiale définie par voie réglementaire (...) ". Aux termes de l'article L. 1111-4 : " (...) Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, la limitation ou l'arrêt de traitement susceptible d'entraîner son décès ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale mentionnée à l'article L. 1110-5-1 et les directives anticipées ou, à défaut, sans que la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6 ou, à défaut la famille ou les proches, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d'arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical (...) ".
- L'article R. 4127-37-2 du même code précise que : " I. - La décision de limitation ou d'arrêt de traitement respecte la volonté du patient antérieurement exprimée dans des directives anticipées. Lorsque le patient est hors d'état d'exprimer sa volonté, la décision de limiter ou d'arrêter les traitements dispensés, au titre du refus d'une obstination déraisonnable, ne peut être prise qu'à l'issue de la procédure collégiale prévue à l'article L.1110-5-1 et dans le respect des directives anticipées et, en leur absence, après qu'a été recueilli auprès de la personne de confiance ou, à défaut, auprès de la famille ou de l'un des proches le témoignage de la volonté exprimée par le patient. / II. - Le médecin en charge du patient peut engager la procédure collégiale de sa propre initiative. La personne de confiance ou, à défaut, la famille ou l'un des proches est informé, dès qu'elle a été prise, de la décision de mettre en œuvre la procédure collégiale. / La personne de confiance ou, à défaut, la famille ou l'un des proches est informé, dès qu'elle a été prise, de la décision de mettre en œuvre la procédure collégiale. / III. - La décision de limitation ou d'arrêt de traitement est prise par le médecin en charge du patient à l'issue de la procédure collégiale. Cette procédure collégiale prend la forme d'une concertation avec les membres présents de l'équipe de soins, si elle existe, et de l'avis motivé d'au moins un médecin, appelé en qualité de consultant. Il ne doit exister aucun lien de nature hiérarchique entre le médecin en charge du patient et le consultant. L'avis motivé d'un deuxième consultant est recueilli par ces médecins si l'un d'eux l'estime utile. Lorsque la décision de limitation ou d'arrêt de traitement concerne un mineur ou une personne faisant l'objet d'une mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne, le médecin recueille en outre l'avis des titulaires de l'autorité parentale ou de la personne chargée de la mesure, selon les cas, hormis les situations où l'urgence rend impossible cette consultation. / IV. - La décision de limitation ou d'arrêt de traitement est motivée. La personne de confiance, ou, à défaut, la famille, ou l'un des proches du patient est informé de la nature et des motifs de la décision de limitation ou d'arrêt de traitement. La volonté de limitation ou d'arrêt de traitement exprimée dans les directives anticipées ou, à défaut, le témoignage de la personne de confiance, ou de la famille ou de l'un des proches de la volonté exprimée par le patient, les avis recueillis et les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient ".
- Il résulte des dispositions rappelées aux points 2 et 3, ainsi que de l'interprétation que le Conseil constitutionnel en a donnée dans sa décision visée ci-dessus du 2 juin 2017, qu'il appartient au médecin ayant pris en charge un patient, lorsque celui-ci est hors d'état d'exprimer sa volonté, d'arrêter ou de ne pas mettre en œuvre, au titre du refus de l'obstination déraisonnable, les traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. En pareille hypothèse, le médecin ne peut prendre une telle décision qu'à l'issue d'une procédure collégiale, destinée à l'éclairer sur le respect des conditions légales et médicales d'un arrêt du traitement et, sauf dans les cas mentionnés au troisième alinéa de l'article L. 1111-11 du code de la santé publique, dans le respect des directives anticipées du patient ou, à défaut de telles directives, après consultation de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de sa famille ou de ses proches, ainsi que, le cas échéant, de son ou ses tuteurs. Si le médecin décide de prendre une telle décision en fonction de son appréciation de la situation, il lui appartient de sauvegarder en tout état de cause la dignité du patient et de lui dispenser des soins palliatifs."
Le Conseil d’Etat applique ces dispositions au cas d’espèce :
"… il résulte de l'instruction et n'est au demeurant pas contesté, d'une part, que la procédure collégiale qui devait, en vertu des dispositions précitées de l'article R. 4127-37-2 du code de la santé publique, prendre la forme d'une concertation avec les membres présents de l'équipe de soins et d'un avis motivé d'au moins un médecin appelé en qualité de consultant, n'a pas été respectée, d'autre part, que la personne chargée de la mesure de tutelle de Mme B... n'a pas été informée, alors qu'il n'est pas établi ni même soutenu que l'urgence rendait impossible cette information, et enfin que M. A... n'a pas été associé à la décision du centre hospitalier, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 4127-37-2, alors que Mme B... n'avait pas formulé de directives anticipées conformes aux prévisions de l'article R. 1111-17 du code de la santé publique.
Dans ces conditions, M. A... est fondé à soutenir que le centre hospitalier régional universitaire de Brest a également commis une faute en ne respectant pas la procédure prévue par les dispositions, rappelées aux points 2 et 3, du code de la santé publique, avant que soit prise la décision de n'entreprendre aucun soin, même sur la base du diagnostic d'accident vasculaire cérébral qui avait été posé dans les circonstances rappelées au point 8.
12. La méconnaissance de cette procédure et les conditions dans lesquelles M. A... a, par conséquent, appris le décès de sa mère, sans avoir été informé, en temps utile, de son état ni associé au recueil du témoignage de sa volonté, lui ont causé un préjudice moral distinct du préjudice d'affection causé par ce décès. M. A..., qui est recevable à invoquer pour la première fois un tel préjudice en appel, est fondé à en demander l'indemnisation. Il en sera fait une juste appréciation en l'évaluant à la somme de 5 000 euros."
Le Conseil d’Etat reconnait ainsi l’existence d’un préjudice moral autonome résultant de ce manquement.
Ce préjudice a vocation à être indemnisé en sus du préjudice d’affection, préjudice moral lié à la perte d’un être cher.
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