Troubles de l’élocution et préjudice esthétique.


  • Le préjudice esthétique : seulement en cas d’altération perceptible par la vue ?

    Beaucoup de victimes pensent que le préjudice esthétique ne peut être retenu qu'en cas d'altération physique visible par autrui : brûlures, cicatrices, boîterie...

    Elles omettent par conséquent d'invoquer les autres altérations qui les gênent en s'exposant au regard d'autrui.

    La Cour de cassation vient de rappeler que la définition du préjudice esthétique est au contraire bien plus large.

    Les faits et la procédure : 

    Une patiente a bénéficié de la pose d’implants et de bridges en 1995 et 1996 par un chirurgien-dentiste.

    Elle a présenté à la suite de cette prise en charge des troubles de l’élocution et de la mastication.

    Après l'obtention d'expertises en référé, elle a assigné le praticien en responsabilité et indemnisation.

    Celui-ci a été déclaré responsable de l'ensemble des préjudices subis par la patiente et condamné au paiement de provisions dans l'attente de la consolidation.

    Les premiers juges ont toutefois rejeté sa demande d’indemnisation au titre du préjudice esthétique temporaire aux motifs que « le trouble de phonation constitue une gêne fonctionnelle et non pas un préjudice esthétique ».

    La patiente a inscrit un pourvoi à l’encontre de cette décision,

    Elle soutenait que constitue un préjudice esthétique le trouble qui contraint la victime à se présenter dans un état physique altéré au regard des tiers, et que les difficultés d'élocution, générées par le fait fautif traumatique, lui ouvrent droit à réparation au titre du préjudice esthétique.

    Or, les premiers juges avaient bien constaté qu'à la suite de l'intervention litigieuse, en 1995, elle avait souffert d'importants problèmes d'élocution et de phonation jusqu'à la pose d'une nouvelle prothèse par un autre chirurgien-dentiste, en 2008.

    Un déficit fonctionnel et un préjudice esthétique :

    Par un arrêt du 24 septembre 2025 (https://www.courdecassation.fr), la Cour de cassation fait droit à la demande de la victime, retenant la motivation suivante :

    "Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :

    9. Il résulte de ce texte et de ce principe que le préjudice esthétique temporaire peut inclure des troubles de l'élocution contraignant la victime à se présenter dans un état physique altéré au regard des tiers, même si ces troubles caractérisent aussi une gêne fonctionnelle.

    10. Pour rejeter la demande de la patiente au titre du préjudice esthétique temporaire, après avoir constaté qu'à la suite de l'intervention du praticien, elle avait souffert d'importants problèmes d'élocution et de phonation jusqu'à la pose d'une nouvelle prothèse le 31 octobre 2008, l'arrêt retient que le trouble de phonation constitue une gêne fonctionnelle et non pas un préjudice esthétique.

    11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte et le principe susvisés."

    La Cour de cassation rappelle ainsi, à juste titre, que le préjudice esthétique concerne l’ensemble des altérations physiques, quelle que soit leur nature.

    Ainsi, sont concernées non seulement les altérations perceptibles par la vue et le toucher (altération de la morphologie, de la mobilité, de l’enveloppe corporelle, du comportement, utilisation de matériel médical…), mais également les altérations perceptibles par l’ouïe (modification de la voix ou de la prononciation) ou l’odorat (altération de l’haleine ou de l’odeur corporelle).

    La Cour de cassation rappelle également qu’un même trouble peut être indemnisé au titre de deux préjudices distincts, ici un déficit fonctionnel et un préjudice esthétique.

    Il est par conséquent important, au cours des opérations d’expertise, d’attirer l’attention des experts sur la nécessité de retenir l’existence de plusieurs chefs de préjudices pour un seul et même trouble.

    Cela induit l’assistance d’un avocat spécialiste et d’un médecin conseil maîtrisant l’ensemble de ces aspects.

     

     

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