L’indemnisation du préjudice professionnel des parents à la suite d’une erreur de diagnostic prénatal.
L’article L. 1142-1 I alinéa 1er du code de la santé publique prévoit que la responsabilité d’un professionnel de santé ne peut être engagée qu’en cas de faute.
La loi a toutefois mis en place un régime spécifique de responsabilité des professionnels de santé en cas d’erreur de diagnostic prénatal.
L’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles, issu de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005, précise en effet :
"Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance.
La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l'acte fautif a provoqué directement le handicap ou l'a aggravé, ou n'a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l'atténuer.
Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale."
En matière de diagnostic prénatal, il convient ainsi de démontrer l’existence d’une faute caractérisée.
Selon la jurisprudence, une telle faute caractérisée est celle qui, par son intensité et son évidence, dépasse la marge d’erreur habituelle d’appréciation, compte tenu des difficultés inhérentes au diagnostic anténatal.
Elle est notamment retenue lorsque la réalisation des échographies ne présentait aucune difficulté particulière ou lorsque le professionnel de santé commet des légèretés ou négligences dans la réalisation ou l’interprétation des échographies, ainsi que dans le suivi de la grossesse, ou en l’absence de renvoi à un confrère plus spécialisé ou à un centre de diagnostic prénatal.
L’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles prévoit par ailleurs que les préjudices de l’enfant ne peuvent être indemnisés puisque « nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance ».
Seuls les préjudices des parents peuvent ainsi être indemnisés.
Cette indemnisation est cependant limitée puisque les charges particulières découlant du handicap de l’enfant ne peuvent être indemnisées.
La loi considère en effet que les dispositifs de compensation du handicap, relevant de la solidarité nationale, permettent la prise en charge de ces « charges particulières ». Il s’agit notamment des prestations du handicap accordées par les MDPH (Maisons départementales des personnes handicapées) ou MDA (Maisons départementales de l’autonomie).
Cette limitation de l’indemnisation donne lieu à des débats judiciaires afin de déterminer les préjudices dont les parents peuvent être indemnisés.
S’il n’est guère discuté de l’existence d’un préjudice moral, résultant du choc psychologique des parents à la découverte du handicap de leur enfant au moment de sa naissance, il en va autrement des préjudices patrimoniaux, et en particulier des préjudices professionnels des parents.
La Cour de cassation vient de se prononcer sur ce point.
Les faits et la procédure :
En 2009, une mère a donné naissance à un enfant atteint d’une trisomie 21, non décelée pendant la grossesse.
Les parents ont, tant en leur nom personnel qu’en qualité de représentants légaux de leurs autres enfants mineurs, assigné en responsabilité et indemnisation, sur le fondement de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles, le médecin échographiste ayant réalisé des échographies durant la grossesse.
La responsabilité du médecin a été retenue au titre d’une faute caractérisée lors de la première échographie ayant fait perdre aux parents une chance de 80 % de demander une interruption de la grossesse et le médecin a été condamné à leur payer différentes sommes, non seulement au titre de leurs préjudices moraux, mais également au titre de leurs pertes de gains professionnels.
Les premiers juges ont en effet retenu que la mère de l’enfant avait pris un congé parental longue durée, de la naissance de celui-ci jusqu’en décembre 2013, lui occasionnant une perte de revenus.
Ils ont par ailleurs relevé qu’une attestation du responsable des ressources humaines de l’entreprise dans laquelle elle était employée, mentionnait : "Mme … travaille au sein de nos locaux à hauteur de 60 % d’un temps plein, demande formulée par ses soins, afin de s’occuper de son enfant en situation de handicap".
S’agissant du père de l’enfant, ils ont retenu que "la forte chute de revenus constatée en 2009, année de naissance de …, démontre que la baisse des revenus est en lien avec le temps consacré par M. … à son enfant, à raison de sa maladie, et cette perte de revenus a perduré jusqu’en 2015".
Le médecin a formé un pourvoi à l’encontre de cette décision.
Il soutenait qu’en vertu de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles, le préjudice dont les parents peuvent demander réparation ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap, et que constitue une charge particulière découlant de ce handicap, la perte de gains professionnels des parents résultant directement du fait qu’ils se sont occupés de leur enfant.
L’indemnisation des pertes de revenus :
Par un arrêt du 15 octobre 2025 (legifrance), la Cour de cassation rejette le pourvoi, retenant la motivation suivante :
"- Aux termes de l’article L. 114-5, alinéa 3, du code de l’action sociale et des familles, lorsque la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale.
- Il s’en déduit que le préjudice des parents ouvrant droit à réparation ne se limite pas aux préjudices extrapatrimoniaux et peut inclure des pertes de gains professionnels et une incidence professionnelle lorsqu’ils se trouvent contraints, pour prendre en charge leur enfant handicapé, de cesser ou modifier leur activité professionnelle.
- C’est donc à bon droit qu’après avoir constaté qu’en raison du handicap de leur enfant et du temps devant lui être consacré, Mme [L] avait pris un congé parental de longue durée et repris ensuite un travail à temps partiel sur un autre poste moins bien rémunéré et que M. [L] avait subi une perte de revenus jusqu’en 2015, la cour d’appel a indemnisé leurs pertes de gains professionnels à hauteur de la chance perdue."
Elle considère ainsi que la lettre de ce texte n’exclut pas l’indemnisation des pertes de revenus qui résultent pour les parents de la faute caractérisée du médecin dans le diagnostic prénatal du handicap d’un enfant à naître.
Il ressort effectivement des travaux parlementaires de la loi du 11 février 2005 que le législateur avait expressément renoncé à limiter au seul préjudice moral l’indemnisation que les parents peuvent solliciter au titre d’une telle faute.
Il est toutefois bienvenu que la Cour de cassation le souligne.
En revanche, aux termes de ce même arrêt, la Cour de cassation rejette la demande d’indemnisation de l’incidence professionnelle revendiquée par la mère de l’enfant, qui faisait valoir son changement de poste résultant de la nécessité de consacrer beaucoup de temps à son enfant.
Les premiers juges avaient rejeté cette demande en jugeant que « ce changement de poste induit par son passage à temps partiel a déjà été indemnisé par la perte de revenus précédemment fixée ».
Néanmoins, la Cour de cassation ne retient aucunement que l’indemnisation de l’incidence professionnelle serait prohibée. Elle renvoie en effet uniquement au pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond :
"C’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation des éléments de fait et de preuve produits que la cour d’appel a estimé, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation et sans se contredire, que Mme [L] ne justifiait pas d’un préjudice distinct de celui déjà indemnisé et d’une impossibilité de retour à son poste antérieur à temps plein ou d’une évolution professionnelle compromise au regard de la période passée dans son emploi à temps partiel."
Il appartient ainsi aux demandeurs de produire devant les juges du fond l'ensemble des éléments permettant de démontrer et de chiffrer ce préjudice, lequel est bien distinct des pertes de gains professionels selon la nomenclature des préjudices.
Cela nécessite l'assistance d'un avocat spécialiste en la matière.
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