Délai de procédure excessif en matière de responsabilité hospitalière


  • Le Conseil d’Etat s’est récemment prononcé sur la notion de délai raisonnable d’une procédure initiée par les victimes d’un accident médical.

    Les faits

    Un accident médical est survenu à l’occasion d’un accouchement réalisé le 11 août 1982 dans un centre hospitalier public.

    Le 12 mai 2003, les victimes indirectes, agissant pour elles-mêmes et en qualité de tuteurs de l’enfant devenue majeure, décident d’intenter une action à l’encontre du centre hospitalier, et saisissent en premier lieu le juge des référés du tribunal administratif d’une demande d’expertise médico-légale.

    Il est fait droit à leur demande par ordonnance du 7 juillet 2003.

    Le rapport d’expertise a été déposé en novembre 2004.

    Dans un deuxième temps, les requérants ont saisi le tribunal administratif d'une action en responsabilité et d'une demande de provision. Cette procédure a été initiée le 22 août 2005.

    La suite de la procédure s’est déroulée de la manière suivante :

    Le juge des référés du tribunal administratif a rejeté leur demande de provision par une ordonnance du 9 juin 2006.

    Le juge des référés de la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté leur appel dirigé contre cette ordonnance par une ordonnance du 6 mars 2007.

    Par un jugement du 29 mai 2008, le tribunal administratif, statuant au fond, a jugé que la responsabilité du centre hospitalier n'était pas engagée à leur égard.

    Par un arrêt du 16 septembre 2010, la cour administrative d'appel a jugé que le centre hospitalier avait commis une faute engageant sa responsabilité à leur égard et l'a condamné à leur verser diverses indemnités ainsi qu'à rembourser les débours de la caisse primaire d'assurance maladie.

    Par un arrêt du 19 juillet 2011, le Conseil d'Etat a rejeté leur requête tendant à ce qu'il soit sursis à exécution de l'arrêt du 16 septembre 2010. Puis, par un arrêt du 6 février 2013, le Conseil d'Etat a ensuite annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel du 16 septembre 2010 en tant que cet arrêt jugeait que les fautes du centre hospitalier étaient à l'origine de l'intégralité du préjudice des requérants, en tant qu'il évaluait ce préjudice et en tant qu'il fixait l'indemnisation due par le centre hospitalier.

    Par un arrêt du 19 novembre 2013, la cour administrative d'appel, ressaisie du litige, a jugé que les fautes du centre hospitalier avaient fait perdre à la victime 30 % de chance d'éviter le dommage qui s'est réalisé et a fixé en conséquence le montant de l'indemnisation.

    Par une décision du 15 octobre 2014, le Conseil d'Etat a refusé d'admettre le pourvoi dirigé par les victimes contre l'arrêt du 19 novembre 2013, mettant ainsi un terme au litige.

    Ainsi, au total, la procédure aura duré plus de onze années!

    L’action contre l’Etat du fait d’un délai de procédure excessif

    Considérant que ce délai de onze ans est excessif au regard de la notion de délai raisonnable, les requérants ont sollicité la condamnation de l'Etat à les indemniser des préjudices nés pour eux de la durée excessive de cette procédure.

    Aux termes de son arrêt du 22 juillet 2020, le Conseil d’Etat apporte sa réponse en rappelant les principes applicables:

    «Il résulte des principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives que les justiciables ont droit à ce que leurs requêtes soient jugées dans un délai raisonnable.

    Si la méconnaissance de cette obligation est sans incidence sur la validité de la décision juridictionnelle prise à l'issue de la procédure, les justiciables doivent néanmoins pouvoir en faire assurer le respect.

    Ainsi, lorsque la méconnaissance du droit à un délai raisonnable de jugement leur a causé un préjudice, ils peuvent obtenir la réparation de l'ensemble des dommages, tant matériels que moraux, directs et certains, ainsi causés par le fonctionnement défectueux du service public de la justice.

    Le caractère raisonnable du délai de jugement d'une affaire doit s'apprécier de manière à la fois globale, compte tenu, notamment, de l'exercice des voies de recours, particulière à chaque instance et concrète, en prenant en compte sa complexité, les conditions de déroulement de la procédure et, en particulier, le comportement des parties tout au long de celle-ci, mais aussi, dans la mesure où la juridiction saisie a connaissance de tels éléments, l'intérêt qu'il peut y avoir, pour l'une ou l'autre, compte tenu de sa situation particulière, des circonstances propres au litige et, le cas échéant, de sa nature même, à ce qu'il soit tranché rapidement.

    Lorsque la durée globale du jugement n'a pas dépassé le délai raisonnable, la responsabilité de l'Etat est néanmoins susceptible d'être engagée si la durée de l'une des instances a, par elle-même, revêtu une durée excessive».

    Le rappel de ces principes est évidemment bienvenu en matière de responsabilité hospitalière, où les procédures apparaissent toujours trop longues pour les victimes.

    Dans le cas d’espèce, le Conseil d’Etat rappelle que la durée totale de la procédure a été de onze ans et cinq mois.

    Il retient par ailleurs que: «Eu égard à la complexité du litige et au comportement des parties, dont il n'apparaît pas que les démarches aient présenté un caractère abusif ou dilatoire, alors même qu'ils auraient saisi le juge plus de vingt ans après l'accident en cause, cette durée doit être regardée comme excédant le délai raisonnable de jugement et comme ayant de ce fait occasionné aux requérants un préjudice moral constituant en des désagréments qui vont au-delà de ceux habituellement provoqués par un procès».

    Le Conseil d’Etat précise encore sa méthode d’évaluation de ce préjudice moral résultant du délai excessif de la procédure :

    «Pour en fixer l'étendue, il y a lieu de prendre en compte, d'une part, la circonstance que l'instance ouverte le 22 août 2005 devant le tribunal administratif a, par elle-même, présenté une durée particulièrement longue et, d'autre part, la circonstance qu'un intérêt particulier s'attachait pour les requérants à ce que les préjudices de la victime fassent l'objet d'une juste réparation dans les meilleurs délais».

    L’Etat est ainsi condamné à verser une indemnisation de 3.000 € à la victime directe ainsi qu’à sa tutrice, et de 500 € aux autres requérants.

    Au-delà du montant de l'indemnisation, il faut retenir de cet arrêt le rappel de l'obligation pour le service public de la justice de permettre aux justiciables d'obtenir une réponse judiciaire dans un délai raisonnable.

    Il souligne également "l'intérêt particulier" des victimes d'un accident médical, prenant donc bien en compte les spécificités de la situation des victimes et la nécessité pour elles d'être indemnisées dans les meilleurs délais.

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