Par un arrêt du 4 juillet 2019, la Cour de cassation s'est prononcée en faveur d'une appréciation étendue du préjudice d'établissement (Civ. 2ème, n° 18-19592).
Définition du préjudice d’établissement
Ce préjudice est souvent revendiqué pour les victimes de dommage corporel empêchées de réaliser leurs projets familiaux en raison de leur handicap où de leur état de santé. Le préjudice d'établissement est en effet défini par la jurisprudence comme cherchant à « indemniser la perte d’espoir, de chance ou de toute possibilité de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap permanent, dont reste atteinte la victime après sa consolidation. Il s’agit de la perte d’une chance de fonder une famille, d’élever des enfants et, plus généralement, des bouleversements dans les projets de vie de la victime qui la contraignent à certains renoncements sur le plan familial » (Civ. 1ère, 23 janv. 2019, n° 18-10662 et 18-12040).
Ainsi, le préjudice d’établissement est généralement retenu dans des hypothèses où la victime se trouve dans l'impossibilité d'avoir des enfants. Il a toutefois été jugé qu’en cas de possibilité d'adoption, aucun préjudice d'agrément ne peut être revendiqué, seuls les frais d'adoption pouvant être indemnisés (Civ. 2ème, 8 juin 2017, n° 16-19185). Il s'agit là d'une appréciation restrictive du préjudice d'établissement puisque, selon la nomenclature Dintilhac, ce chef de préjudice indemnise « la perte d'espoir, de chance ou de possibilité de réaliser un projet de vie familiale normal en raison de la gravité du handicap permanent ». Il n'y a donc pas lieu de réduire ce chef de préjudice à la seule possibilité d'avoir des enfants. C'est en ce sens que s'est prononcée la Cour de cassation le 4 juillet 2019.
Réparation du préjudice
Elle était saisie d'un pourvoi à l'encontre d'un arrêt rendu par la Cour d'appel de Rennes le 8 novembre 2017, laquelle avait rejeté la demande d'indemnisation du préjudice d'établissement d'une femme, victime de faits de traite des êtres humains et de proxénétisme aggravé. Celle-ci, veuve et déjà mère de quatre enfants, avait saisi une commission d'indemnisation des victimes d'infractions aux fins d’indemnisation de ses préjudices, devant laquelle elle soutenait notamment qu’à cause des infractions dont elle avait été victime, elle ne pouvait plus avoir une vie de couple et ne pouvait donc plus fonder une famille.
La Cour d'appel de Rennes avait en effet considéré qu'ayant fondé une famille et pu assurer l’éducation de ses quatre enfants, elle avait déjà réalisé un projet de vie familiale. La Cour d'appel considérait donc que le désir d'entamer une nouvelle union ne pouvait être indemnisé au titre du préjudice d'agrément. La Cour de cassation casse l'arrêt de la Cour d'appel au visa du principe de la réparation intégrale, en indiquant :
- « qu’en déterminant ainsi, sans rechercher si Mme M… ne pouvait plus réaliser un nouveau projet de vie familiale, alors qu’elle constatait que son mari était décédé, et que le préjudice d’établissement recouvre, en cas de séparation ou de dissolution d’une précédente union, la perte de chance pour la victime handicapée de réaliser un tel projet de vie familiale, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».
Ainsi, une victime ayant déjà réalisé un projet de vie familiale peut revendiquer l’indemnisation d’un préjudice d’établissement. De plus, un projet de vie familiale ne se limite pas au projet d'avoir des enfants et le souhait d'une vie de couple constitue bien un tel projet de vie familiale.
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