Accident médical non fautif et anormalité du dommage.


  • L’anormalité de l’accident médical non fautif en présence de troubles survenus prématurément.

    Aux termes des dispositions de l’article L. 1142-1 II du code de la santé publique :

    "Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire.

    Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret."

    Ainsi, pour qu’un accident médical non fautif soit indemnisé au titre de la solidarité nationale, encore faut-il que celui-ci présente le caractère d’anormalité prévu par la loi.

    Cette notion d’anormalité donne lieu à une jurisprudence fournie.

    Par un arrêt du 06 avril 2022 (n° 21-12825), la première chambre de la Cour de cassation se prononce sur cette notion d’anormalité dans le cas où les troubles en lien avec l’accident médical seraient apparus à un moment ou un autre, en raison d’une pathologie préexistante.

    Les faits et la procédure :

    Le 20 juin 2012, un patient, qui présentait une claudication intermittente due à une courte occlusion de l'artère fémorale superficielle droite, a subi une chirurgie carotidienne sous anesthésie loco-régionale, et est demeuré hémiplégique à la suite de la survenue, au cours de l'intervention, d'une crise convulsive généralisée. Il est décédé le 7 novembre 2016.

    Ses ayants droit ont assigné le chirurgien, l'assureur de celui-ci et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM) aux fins de reconnaissance de leur responsabilité et d'indemnisation de leurs préjudices.

    La responsabilité du chirurgien a été écartée par les premiers juges.

    L’ONIAM a également été mis hors de cause, les juges retenant que « selon les experts, l'état de santé du patient lors de leur examen était la conséquence de l'évolution prévisible de la pathologie qu'il présentait antérieurement, que l'hospitalisation, l'intervention et la survenue de l'accident neurologique avaient été conjointement responsables d'une accélération du processus d'involution cérébrale liée à la démence vasculaire déjà présente avant les faits, que ces événements conjoints avaient été responsables d'une aggravation significative de son état fonctionnel plus précocement qu'elle ne serait spontanément survenue en l'absence de tout événement et que la détérioration et l'incapacité fonctionnelle qui en étaient résultées avaient été accélérées d'environ trois ans par rapport à ce qu'aurait été l'évolution spontanée de la pathologie ».

    Ils ont ainsi retenu qu'en l'absence d'ambiguïté des conclusions des experts sur l'évolution spontanée de la pathologie vasculaire dont souffrait le patient vers l'état de détérioration intellectuelle et de dépendance qui était le sien après l'intervention, la preuve de l'anormalité du dommage n'était pas rapportée.

    Les ayants droit de la victime ont formé un pourvoi à l’encontre de cette décision, faisant observer que la condition d'anormalité du dommage doit être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement.

    Ils soulignent que sont ainsi anormaux les troubles, entraînés par un acte médical, survenus chez un patient de manière prématurée, alors même que l'intéressé aurait été exposé à long terme à des troubles identiques par l'évolution prévisible de sa pathologie.

    L’indemnisation des troubles apparus prématurément mise à la charge de l’ONIAM :

    La Cour de cassation accueille favorablement ce pourvoi.

    Sa motivation est la suivante :

    "Vu l'article L. 1142-1, II, du code de la santé publique :

    Il résulte de ce texte que la condition d'anormalité du dommage doit être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie de manière suffisamment probable en l'absence de traitement et que, dans le cas contraire, les conséquences de l'acte médical ne peuvent être considérées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible.

    Les conséquences de l'acte médical peuvent être notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie de manière suffisamment probable en l'absence de traitement si les troubles présentés, bien qu'identiques à ceux auxquels il était exposé par l'évolution prévisible de sa pathologie, sont survenus prématurément. Dans ce cas, une indemnisation ne peut être due que jusqu'à la date à laquelle les troubles seraient apparus en l'absence de survenance de l'accident médical.

    Pour mettre hors de cause l'ONIAM et rejeter les demandes d'indemnisation formées à son encontre, après avoir relevé que, selon les experts, l'état de santé d'[E] [P] lors de leur examen était la conséquence de l'évolution prévisible de la pathologie qu'il présentait antérieurement, que l'hospitalisation, l'intervention et la survenue de l'accident neurologique avaient été conjointement responsables d'une accélération du processus d'involution cérébrale liée à la démence vasculaire déjà présente avant les faits, que ces événements conjoints avaient été responsables d'une aggravation significative de son état fonctionnel plus précocement qu'elle ne serait spontanément survenue en l'absence de tout événement et que la détérioration et l'incapacité fonctionnelle qui en étaient résultées avaient été accélérées d'environ trois ans par rapport à ce qu'aurait été l'évolution spontanée de la pathologie, l'arrêt retient qu'en l'absence d'ambiguïté de leurs conclusions sur l'évolution spontanée de la pathologie vasculaire dont souffrait [E] [P] vers l'état de détérioration intellectuelle et de dépendance qui était le sien après l'intervention, la preuve de l'anormalité du dommage n'est pas rapportée.

    En se déterminant ainsi, sans prendre en compte le fait que l'intervention avait entraîné de manière prématurée la survenue des troubles auxquels [E] [P] était exposé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale."

    Il est à noter, d’une part, que la Cour de cassation rejoint ainsi la position du Conseil d’Etat, juridiction considérant que l’apparition de troubles, bien qu’inévitables à terme, compte tenu de la pathologie du patient, mais provoqués prématurément par un acte médical, remplit la condition d’anormalité (CE, 13 nov. 2020, n° 427750).

    Cette jurisprudence est donc favorable aux victimes d'accidents médicaux.

    D’autre part, il y a lieu toutefois de s’interroger sur l’indemnisation n’étant alors due, selon la Cour de cassation, que jusqu'à la date à laquelle les troubles seraient apparus en l'absence de survenance de l'accident médical.

    Il va s’agir en effet d’une évaluation que devront faire les experts au cours des opérations d’expertise, dont il est à redouter qu’elle soit difficile.

    Ces difficultés prévisibles imposent la présence d'avocats et médecins spécialistes aux côtés des victimes.

     

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