Accident médical non fautif : seuils de gravité et état antérieur.


  • Accident médical non fautif : le seuil de gravité permettant une indemnisation par l’ONIAM s’apprécie sans tenir compte de l’état antérieur qui aurait dû être corrigé par l’acte médical.

    Les conditions d'anormalité et de gravité du dommage :

    Selon l’article L. 1142-1 II du code de la santé publique, la prise en charge par l’Office National d'Indemnisation des Accidents Médicaux (ONIAM) des conséquences d’un accident médical non fautif ou aléa thérapeutique est subordonnée à des critères d’anormalité et de gravité du dommage.

    Ainsi, l’accident médical doit avoir des conséquences anormales au regard de l'état de santé de la victime comme de son évolution prévisible.

    S’agissant des critères de gravité, ils sont fixés comme suit :

    • 24 % d'atteinte à l'intégrité physique et psychique subie à titre permanent par la victime
    • une période d’arrêt de travail au moins égale à 6 mois consécutifs ou non consécutifs sur une période de 12 mois
    • des gênes temporaires consécutives d'un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à un taux de 50 % durant 6 mois

    A titre exceptionnel, le critère de gravité est admis dans les deux cas suivants :

    • lorsque la victime est déclarée définitivement inapte à exercer l'activité professionnelle exercée avant la survenue de l'accident médical
    • lorsque l'accident médical a occasionné des troubles particulièrement graves, y compris d'ordre économique, dans les conditions d'existence de la victime.

    Afin d’être indemnisée par l’ONIAM des préjudices résultant d’un accident médical non fautif, la victime doit donc démontrer que l’une de ces conditions de gravité est remplie.

    L'affaire jugée par la Cour de cassation le 15 juin 2022 pose la question de la prise en compte de l'état antérieur de la victime pour apprécier la gravité du dommage résultant de l'accident médical.

    Les faits et la procédure :

    Le 12 avril 2012, Mme [T] a été opérée au sein de la clinique [5], exploitée par l'Association hospitalière de l'ouest, d'une arthrose du genou gauche et une prothèse a été posée. Après l'ablation du cathéter crural posé pour les besoins de l'anesthésie générale par Mme [F], médecin-anesthésiste, elle a conservé des troubles moteurs du membre inférieur gauche.

    Elle a assigné en indemnisation Mme [F], l'Association hospitalière de l'ouest et l'ONIAM.

    Mme [F] et l'Association hospitalière de l'ouest ont été mises hors de cause.

    Sa demande d'indemnisation au titre de la solidarité nationale a par ailleurs été rejetée.

    En effet, après avoir constaté que ses préjudices étaient au moins pour partie imputables à la mise en place d'un cathéter crural et avaient eu des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci, les premiers juges ont retenu qu'elle présente un déficit fonctionnel permanent de 40 % qui doit être diminué du taux d'incapacité de 20 % résultant de son état de santé antérieur à l'intervention, tant physique en raison de troubles fonctionnels nécessitant de recourir à des cannes anglaises, que psychologique, qu'elle ne rapporte pas la preuve d'un déficit fonctionnel permanent de 24 % et en déduit que la condition de gravité du dommage n'est pas remplie.

    La victime a formé un pourvoi devant la Cour de cassation, en objectant que lors de l'appréciation du taux d'atteinte permanente lié à la survenue d'un accident médical au sens de l’article L. 1142-1 II du code de la santé publique, il ne peut être tenu compte du taux préexistant à l'acte médical en cause, lorsque cet acte aurait permis d'y remédier en l'absence d'accident.

    L'absence de prise en compte de l'état antérieur :

    La première chambre civile de la Cour de cassation s’est prononcée par un arrêt du 15 juin 2022 (n° 21-12.742).

    Elle accueille favorablement le pourvoi de la victime, selon la motivation suivante :

    "Vu les articles L.1142-1, II, et D. 1142-1 du code de la santé publique :

    - Selon ces textes, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret qui est apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire et qui est notamment retenu dans le cas d'un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique fixé à 24 %.

    - Lors de l'appréciation du taux d'atteinte permanente lié à la survenue d'un accident médical au sens du premier de ces textes, il ne peut être tenu compte du taux préexistant à l'acte médical en cause, lorsque cet acte aurait permis d'y remédier en l'absence d'accident.

    - Pour rejeter la demande d'indemnisation au titre de la solidarité nationale formée par Mme [T], après avoir constaté que ses préjudices étaient au moins pour partie imputables à la mise en place d'un cathéter crural et avaient eu des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci, l'arrêt retient qu'elle présente un déficit fonctionnel permanent de 40 % qui doit être diminué du taux d'incapacité de 20 % résultant de son état de santé antérieur à l'intervention, tant physique en raison de troubles fonctionnels nécessitant de recourir à des cannes anglaises, que psychologique, qu'elle ne rapporte pas la preuve d'un déficit fonctionnel permanent de 24 % et en déduit que la condition de gravité du dommage n'est pas remplie.

    - En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, la part du déficit fonctionnel permanent préexistant lié à l'arthrose auquel il avait été remédié par la pose de la prothèse, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision."

    Il s’agit ainsi d’une juste décision.

    Il faut en effet considérer qu’un patient subissant une intervention chirurgicale présente, avant celle-ci, un déficit fonctionnel, ce qui justifie l’indication opératoire.

    Le but de toute intervention est en effet d’améliorer l’état de santé du patient.

    Il convient donc d’imaginer quel taux de déficit est attendu après réalisation de l’intervention chirurgicale en cas de bon déroulement de celle-ci.

    Par exemple, si l’objectif d’une intervention est de réduire le taux du déficit fonctionnel permanent de 20 % à 5 %, mais qu’un accident médical non fautif entraîne un déficit fonctionnel permanent de 30 %, 25 % sont donc imputables à l’accident médical. En pareille hypothèse, la victime pourra être indemnisée au titre de la solidarité nationale.

    Il s’agit là d’une solution évidemment logique ; il est néanmoins bienvenu qu’elle soit consacrée par la Cour de cassation.

     

     

     

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