L'obligation d'information portant sur les effets secondaires de la chimiothérapie.


  • Prescription d'un traitement par chimiothérapie impératif et urgent : quelle information sur les effets secondaires de la chimiothérapie ?

    Les faits :

    Notre cliente, alors âgée de 35 ans, a été prise en charge aux urgences d’un CHU pour une occlusion intestinale.

    Une intervention chirurgicale de résection de l’intestin grêle a été réalisée le jour même. Elle a toutefois mis en évidence une tumeur isolée de l’intestin grêle.

    La pathologie cancéreuse a nécessité la réalisation de six cures de chimiothérapie séquentielle.

    La patiente a présenté une aménorrhée secondaire très peu de temps après le début de la chimiothérapie.

    La prise en charge a permis une rémission complète mais il a été constaté une hypofertilité.

    La difficulté de cette prise en charge, bien qu’elle ait permis cette rémission, est que notre cliente n’a toutefois pas été informée des effets secondaires de la chimiothérapie, et en particulier du risque d’infertilité.

    L'obligation d'information :

    En vertu des dispositions de l’article L. 1111-2 du code de la santé publique :

    « Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Elle est également informée de la possibilité de recevoir, lorsque son état de santé le permet, notamment lorsqu'elle relève de soins palliatifs au sens de l'article L. 1110-10, les soins sous forme ambulatoire ou à domicile. Il est tenu compte de la volonté de la personne de bénéficier de l'une de ces formes de prise en charge. Lorsque, postérieurement à l'exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d'impossibilité de la retrouver.

    Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser.

    Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. (…)

    En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen ».

    Ainsi, la jurisprudence retient que l’information doit porter sur les risques fréquents et graves, même exceptionnels, liés la réalisation de l’acte médical.

    Il ne ressort d’aucun élément du dossier médical, que la patiente aurait été informée du risque d’infertilité secondaire à la chimiothérapie.

    Or, il s’agit d’un risque connu de ce type de traitement sur lequel l’information aurait donc dû porter.

    Quand bien même ce manquement n’a pas eu d’incidence sur la prise en charge ultérieure, il en résulte pour la patiente un préjudice d’impréparation dont la jurisprudence précise qu’il ne peut être laissé sans réparation.

    Elle n’a pas non plus été informée de la possibilité d’effectuer une conservation d’ovocytes avant la mise en œuvre de la chimiothérapie.

    Elle estime par conséquent avoir été privée d’une chance d’user de cette possibilité.

    Il s’agit des arguments que nous avons soulevés devant la Commission de Conciliation et d’Indemnisation des accidents médicaux (CCI), saisie par notre cliente avant notre intervention dans le dossier.

    Nous avons donc sollicité que soient retenus :

    - un préjudice moral d’impréparation résultant de l’absence d’information du CHU sur le risque d’une infertilité secondaire à la chimiothérapie.

    et

    - une perte de chance de réaliser une conservation d’ovocytes avant la mise en œuvre de la chimiothérapie.

    Des experts en faveur de l'absence de manquement :

    Il s’avère que les experts désignés par la CCI avaient exclu tout manquement au devoir d’information des praticiens ayant pris en charge la patiente, et ce au motif de l’absence de possibilité pour la patiente de se soustraire à la chimiothérapie et de l’urgence à mettre en œuvre ce traitement au vu du caractère agressif de la tumeur cancéreuse.

    Ils estimaient donc que le traitement d’une pathologie aussi agressive constituait une urgence thérapeutique et ne pouvait être différée du temps nécessaire pour la préservation de la fertilité et qu’une telle prise en charge de la fertilité consiste en une vitrification ovocytaire et que le délai entre la consultation d’oncofertilité et le début de la stimulation était selon eux trop long au regard de l’urgence à mettre en œuvre la chimiothérapie.

    Ils avaient encore estimé que la patiente, elle-même médecin, connaissait forcément les effets secondaires de la chimiothérapie ainsi que les techniques de conservation d’ovocytes, ce qui l’empêchait de faire de tels reproches au CHU.

    Sur ce dernier point, nous nous prévalions de la jurisprudence du Conseil d’Etat, selon laquelle la circonstance qu’un patient détienne des connaissances en la matière ne saurait dispenser le professionnel de santé de satisfaire à son obligation de l’informer, par un entretien individuel, de manière loyale, claire et appropriée sur son état de santé et les soins et traitements qu’il propose.

    La CCI sanctionne un défaut d'information :

    La CCI a suivi notre argumentation. Elle se prononce comme suit :

    "La commission observe toutefois que cette information aurait dû être donnée que le fait que Mme… soit dans le milieu médical ne dispensait aucunement de lui délivrer cette information, d'autant qu'elle n'est pas oncologue ni gynécologue, et qu'il faut aussi tenir compte de l'effet de sidération de l'annonce d'un cancer de cette gravité.

    Ce défaut d'information a fait perdre à Mme… toute chance de discuter de l'opportunité, au regard du risque encouru, d'une telle préservation ovarienne et de concevoir par la suite à partir de ses propres ovocytes. La commission observe que compte tenu du temps qui s'est écoulé entre l'intervention qui a permis de diagnostiquer le cancer et le début du traitement, il eut été possible de délivrer cette information et de lui permettre de faire un choix éclairé, d'autant qu'elle était particulièrement exposée à un risque d'infertilité de cette nature dans les suites tant du fait de son âge que du fait de la maladie. La commission retient toutefois qu'une telle stimulation ne pouvait se faire immédiatement compte tenu de l'intervention subie qui avait justement permis de diagnostiquer le cancer et qu'il était urgent de traiter le cancer dont la gravité et l'agressivité rendaient nécessaire un traitement rapide.

    Après en avoir délibéré, elle considère que ce défaut d'information a été à l'origine d'un préjudice d'impréparation et d'une perte de chance d'échapper à une infertilité qu'elle estime à 25% compte tenu de l'âge et des antécédents de la patiente.

    (…)

    En l'espèce, la responsabilité du CHU est engagée en raison d'une faute ayant entraîné une perte de chance d'éviter le dommage de 25%. L'assureur du CHU aura donc la charge d'indemniser 25% des préjudices subis par Mme… et la totalité du préjudice d'impréparation."

    Nous avons ainsi pu obtenir non seulement la reconnaissance du défaut d'information, mais également l'indemnisation des préjudices en résultant.

     

     

     

    Retour
  • Nous contacter, nous poser une question