Homicide involontaire et indemnisation par le juge civil


  • L'indemnisation des victimes en cas de relaxe par le juge pénal de la personne poursuivie pour homicide involontaire

    L’assemblée plénière de la Cour de cassation a rendu un avis le 14 avril 2023 (pourvoi n° 21-13.516) concernant l’indemnisation des victimes d’un homicide involontaire dans l’hypothèse où le juge pénal relaxe la personne poursuivie de cette infraction.

    Les faits et la procédure :

    Un sapeur-pompier en intervention conduisait un véhicule de secours routier. Son véhicule a été percuté par un automobiliste. Le sapeur-pompier est décédé des suites de cet accident de la circulation.

    La famille du sapeur-pompier, partie civile, a réclamé réparation de son préjudice.

    Le tribunal correctionnel a jugé l’automobiliste coupable d’homicide involontaire et accordé à la famille du sapeur-pompier une indemnisation de son préjudice causé par ce délit.

    La cour d’appel a relaxé l’automobiliste et rejeté la demande de dommages-intérêts de la partie civile après avoir constaté que celle-ci n’invoquait pas devant elle l’article 470-1 du code de procédure pénale.

    Les proches du sapeur-pompier se sont tournés vers la justice civile afin d’obtenir une indemnisation de la part de l’assureur de l’automobiliste.

    Le juge civil a déclaré cette action irrecevable : il a considéré qu’ils auraient dû formuler leur demande de réparation dans le cadre de la procédure pénale. La cour d’appel a confirmé ce jugement.

    La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a donné tort à la cour d’appel et saisi une autre cour d’appel : selon elle, le fait de ne pas demander au juge pénal des dommages-intérêts dans l’hypothèse d’une éventuelle relaxe du prévenu ne privait pas la partie civile du droit de saisir ultérieurement le juge civil en réparation de son préjudice.

    La cour d’appel chargée de rejuger l’affaire n’a pas suivi la décision de la deuxième chambre civile : se référant au principe de l’autorité de la chose jugée, elle a déclaré irrecevable la demande d’indemnisation formulée par la famille du sapeur-pompier.

    Cette position a conduit la Cour de cassation à examiner l’affaire en assemblée plénière, formation de jugement la plus solennelle, au sein de laquelle toutes les chambres de la Cour sont représentées.

    La question qui lui était posée était donc la suivante :

    La personne qui ne demande pas au juge pénal de statuer sur la réparation de son préjudice dans l’hypothèse d’une relaxe du prévenu auquel est reprochée une infraction non intentionnelle conserve-t-elle le droit de soumettre sa demande d’indemnisation au juge civil, sans que lui soient opposés le principe de concentration des moyens et l’autorité de la chose jugée ?

    Les règles applicables à l’indemnisation des victimes :

    Aux termes de son avis, la Cour de cassation rappelle les règles applicables en la matière :

    - Le principe : la compétence du juge civil

    Lorsque le juge pénal relaxe un prévenu, il n’est pas compétent pour se prononcer sur les dommages-intérêts demandés par la partie civile. Si celle-ci souhaite obtenir des dommages-intérêts, elle doit se tourner vers le juge de la responsabilité civile.

    - L'exception : la compétence du juge pénal – article 470-1 du code de procédure pénale

    Lorsque le juge pénal relaxe une personne à laquelle est reprochée une infraction non intentionnelle comme des blessures involontaires ou un homicide involontaire, il reste compétent, à la demande de la partie civile, pour se prononcer sur les dommages-intérêts. Cette règle permet une indemnisation plus rapide en évitant d’engager une nouvelle procédure devant le juge civil.

    Elle rappelle également les principes de procédure :

    - Le principe de concentration des moyens

    Celui qui engage une action en justice doit avoir présenté à la toute première juridiction qui tranchera son affaire l’ensemble des arguments pouvant justifier sa demande.

    - L’autorité de chose jugée

    Une demande ne peut être présentée successivement à plusieurs juges lorsqu’elle oppose les mêmes personnes, porte sur le même objet et repose sur le même fondement juridique.

    La décision de la Cour de cassation :

    L’assemblée plénière de la Cour de cassation estime qu’est recevable la demande d’indemnisation présentée au juge civil par la personne n’ayant pas demandé réparation de son préjudice au juge pénal sans que lui soient opposés le principe de concentration des moyes et l’autorité de chose jugée.

    La Cour de cassation précise la portée de la solution en distinguant les deux hypothèses qui peuvent se présenter :

    - si la partie civile n’a formé aucune demande d’indemnisation de son préjudice devant le juge pénal pour le cas où la personne poursuivie serait relaxée, alors elle peut soumettre celle-ci devant le juge civil,

    - si, au contraire, elle a formé sa demande devant le juge pénal, comme le lui permet l’article 470-1 du code de procédure pénale, alors elle doit, en application du principe de concentration des moyens, présenter l’ensemble des arguments fondant sa demande. En effet, elle ne pourra plus, ensuite, saisir le juge civil de la même demande.

    Cela implique une vigilance accrue des victimes dans le cadre des procédures civiles et pénales à la suite de blessures involontaires ou d'homicide involontaire, et la nécessité pour elles d'être accompagnées par un avocat spécialiste en droit du dommage corporel.

     

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