Médicaments défectueux : voies et délais d’action des victimes.


  • Indemnisation des victimes du Mediator

    Un régime d'indemnisation spécifique:

    Les articles 1245 et suivants du code civil prévoient un régime spécifique de responsabilité civile dérogatoire au droit commun de la responsabilité.

    Ainsi, la victime d’un produit défectueux a la possibilité de demander des dommages et intérêts au producteur en prouvant uniquement le défaut du produit et le dommage qu’il lui a causé.

    Ce régime de responsabilité est favorable à la victime. En effet, elle n’a pas besoin de prouver que le producteur a commis une faute.

    Mais, ce régime est aussi défavorable à la victime. Elle n’a en effet que 3 ans pour saisir la justice à partir de la consolidation de son dommage corporel et dans la limite de 10 ans à compter de la mise en circulation du produit.

    En comparaison, en droit commun de la responsabilité civile, où la victime doit prouver que l’auteur du dommage a commis une faute, elle dispose d’un délai bien plus long pour demander une indemnisation : 10 ans à compter de la consolidation de son état de santé.

    La Cour de cassation a récemment précisé les voies et délais d'action des victimes en la matière.

    Les faits et la procédure :

    Une victime, à laquelle a été prescrit du Mediator de 2006 à 2008, a présenté des lésions cardiaques.

    Le 14 octobre 2011, elle a saisi le collège d'experts de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM) qui, par un avis du 21 juillet 2015, a retenu que son dommage était imputable à ce médicament.

    Par lettre du 16 octobre 2015, la société les laboratoires Servier, producteur du Mediator, a adressé à la victime une offre d'indemnisation qu'elle a refusée.

    Le 7 juillet 2020, elle a assigné sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux le producteur qui a opposé la prescription.

    La cour d’appel l’a déboutée de ses demandes, estimant, d’une part, qu’elle aurait trop attendu avant de formuler une demande d’indemnisation fondée sur le défaut du médicament.

    Elle a estimé, d’autre part, que la victime n’avait pas le droit de demander des dommages et intérêts en reprochant une faute au producteur.

    Celle-ci a donc inscrit un pourvoi à l’encontre de cette décision.

    La question posée à la Cour de cassation était la suivante :

    La victime d’un produit défectueux, tel qu’un médicament défectueux, peut réclamer une indemnisation fondée sur le défaut du produit grâce au régime spécifique de responsabilité.

    Mais a-t-elle également le droit de demander au producteur des dommages et intérêts en invoquant la faute qu’il a commise, l’intérêt pour la victime étant de disposer alors d’un délai bien plus long pour agir ? 

    La réponse de la Cour de cassation :

    Par un arrêt du 15 novembre 2023 (n° 22-21.174), la première chambre civile de la Cour de cassation casse cet arrêt, adoptant la motivation suivante :

    « Vu les articles 1386-18 et 1382, devenus 1245-17 et 1240, du code civil :

    4. Aux termes du premier de ces textes, transposant l'article 13 de la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, instaurant une responsabilité de plein droit du producteur au titre du dommage causé par un défaut de son produit, les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité. Le producteur reste responsable des conséquences de sa faute et de celle des personnes dont il répond.

    5. La Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que la référence, à l'article 13 de la directive, aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle doit être interprétée en ce sens que le régime mis en place par ladite directive n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle reposant sur des fondements différents, tels que la garantie des vices cachés ou la faute (CJCE, 25 avril 2002, Gonsalès-Sanchez, aff. C-183/00, point 31).

    6. Il en résulte que la victime d'un dommage imputé à un produit défectueux peut agir en responsabilité contre le producteur sur le fondement du second de ces textes, si elle établit que son dommage résulte d'une faute commise par le producteur, telle qu'un maintien en circulation du produit dont il connaît le défaut ou encore un manquement à son devoir de vigilance quant aux risques présentés par le produit.

    7. Pour déclarer l'action irrecevable comme prescrite, l'arrêt retient, d'une part, que l'assignation a été délivrée le 7 juillet 2020, plus de trois ans après la connaissance du dommage acquise à la date de l'avis de l'ONIAM du 21 juillet 2015, d'autre part, que la faute reprochée au laboratoire, prise d'un manquement au devoir de vigilance et de surveillance du fait de la commercialisation d'un produit dont il connaissait les risques ou de l'absence de retrait du produit du marché français contrairement à d'autres pays européens, n'est pas distincte du défaut de sécurité du produit, de sorte que la responsabilité délictuelle pour faute ne saurait se substituer au régime de la responsabilité du fait des produits défectueux.

    8. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »

    Dans le cas d’espèce, une nouvelle cour d’appel devra vérifier si le producteur a commis une faute à l’origine des lésions cardiaques de la victime.

    Il s’agit d’une décision favorable aux victimes.

    En effet, la victime d'un dommage causé par un produit défectueux a ainsi le droit de demander au producteur des dommages et intérêts si elle prouve que son dommage résulte d'une faute commise par le producteur.

    Tel est le cas par exemple si le producteur a maintenu en circulation un produit alors qu’il savait qu’il avait un défaut ou s’il n’a pas été assez vigilant quant aux risques que faisait courir le produit.

    La Cour de cassation précise par ailleurs les conditions dans lesquelles la victime d’un dommage causé par un produit défectueux peut agir sur le fondement de la responsabilité civile de droit commun.

    Si la victime n’a pu agir en invoquant le défaut du produit dans les délais prévus pour la loi, elle pourra néanmoins rechercher la responsabilité du producteur en prouvant qu’il a commis une faute, bénéficiant ainsi des délais plus longs du droit commun de la responsabilité civile.

    Par conséquent, la victime disposera désormais d'un délai significativement plus long pour agir:

    - si elle prouve que son dommage résulte d'une faute du producteur ⇒ délai d'action de 10 ans à compter de la consolidation de son état de santé

    - si elle prouve uniquement le défaut du produit et le dommage qu'il lui a causé ⇒ délai d'action de 3 ans à compter de la consolidation de son état de santé et dans la limite de 10 ans à compter de la mise en circulation du produit.

    Le recours à un avocat spécialiste en droit du dommage corporel est indispensable afin de déterminer si une action est toujours possible au vu des délais ainsi applicables.

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