Indemnisation d’une lésion ayant joué un rôle secondaire dans le décès


  • L'appréciation par le juge de la pluralité de causes à l'origine d'un même dommage.

    La lésion secondaire indemnisable :

    En matière de responsabilité médicale, le droit et la science doivent se conjuguer pour permettre une indemnisation reflétant au mieux la réalité des chaînes causales complexes qui conduisent au dommage.

    Le décès causé par une pathologie n’est qu’extraordinairement le fruit d’une cause isolée : le corps humain est un système complexe et ses dysfonctionnements le sont tout autant. Il n’est ainsi pas rare qu’un décès puisse être attribué à plusieurs causes simultanées, d’importances variables et d’origines multiples.  

    Le droit de la responsabilité fait donc face à un défi : face à des questions dont la complexité est souvent vertigineuse, il doit trancher et désigner des responsables.

    Pour ce faire, il repose sur trois éléments devant, dans l’immense majorité des cas, être démontrés par la victime : l’existence d’un fait générateur, d’un dommage, et d’un lien de causalité entre le fait générateur et le dommage.

    La réduction de la complexité d’une pathologie à cette simple équation peut parfois conduire à devoir simplifier la réalité, mais cette simplification ne saurait conduire à effacer des éléments causaux et à trahir la réalité des faits, comme l’a récemment rappelé la Cour de Cassation.

    Les faits et la procédure :

    Une victime, à laquelle a été prescrit du Mediator à compter de l’année 2000, présente par la suite une valvulopathie, et décède en 2013.

    Suspectant un lien causal entre le traitement de la victime au Mediator et son décès, ses ayants droit saisissent le juge des référés aux fins de voir ordonner une expertise médico-légale.

    Après avoir pris connaissance des conclusions des experts, les ayants droit de la victime assignent en responsabilité et indemnisation les Laboratoires Servier.

    Par un arrêt du 28 juin 2022, la Cour d’Appel de Montpellier constate que le décès de la victime a pour cause prédominante une insuffisance respiratoire sévère, sans lien avec le Mediator.

    Elle en déduit que lien de causalité entre la prise du médicament et le décès de la victime n’est pas établi, alors même que cette dernière souffrait, au moment du décès, d’une valvulopathie liée au médicament.

    La Cour de Cassation devait donc répondre à la question suivante :

    Le fait qu’une lésion ou pathologie n’ai eu qu’un rôle secondaire dans la survenance d’un dommage empêche-t-il la reconnaissance d’un lien causal et, par conséquent, d’un droit à indemnisation ?  

    La réponse de la Cour de cassation :

    Par un arrêt du 6 décembre 2023 (n°22-21.238) la Cour de Cassation répond à la négative et casse l’arrêt de la Cour d’Appel, adoptant la motivation suivante :

    « 5. Selon le premier de ces textes, le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu’il soit ou non lié à un contrat avec la victime.

    1. Selon le second, le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.
    2. Il résulte de ces textes qu’il appartient au demandeur de prouver par tout moyen que son dommage est imputable au moins pour partie au produit incriminé.
    3. Pour écarter la responsabilité de la société au titre du décès de [N] [L], l’arrêt retient que l’insuffisance respiratoire sévère dont il souffrait peut être considérée comme prédominante dans la survenue de son décès et que la cardiopathie valvulaire, même si elle est à imputer à la prise de Médiator, ne présente qu’un caractère secondaire, de sort que le lien de causalité avec la prise de Mediator n’était pas démontré.
    4. En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que le décès de [N] [L] était imputable pour partie à la cardiopathie valvulaire causée par la prise du Mediator, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »

    Si en l’espèce, la décision est favorable aux victimes, elle ne fait au final que rappeler un principe général du droit de la responsabilité : les causes, même secondaires, doivent être prises en compte dès lors qu’elles jouent un rôle causal dans la survenance d’un dommage.

    Inversement, une faute médicale ou un produit défectueux ayant joué un rôle prédominant, mais non exclusif dans la survenance d’un dommage, sera indemnisé à proportion de son rôle et pas au-delà.

    Ce principe doit cependant rappeler un point important aux victimes : même si une faute médicale ou le défaut d’un produit ne sont pas les seules causes de leur dommage, elles n’en demeurent pas moins indemnisables.

    Il est par conséquent important que les victimes d’une erreur médicale ou d’un produit défectueux ne soient pas spontanément découragées à agir du fait de l’existence d’autres pathologies ou sources de dommage.

    Naviguer au milieu des questions de causalité, et évaluer l’opportunité d’une action face à de multiples causes, est cependant une tâche ardue.

    Il est préférable dans ces situations, d’être accompagné tant par un avocat spécialiste que par un médecin conseil.

     

     

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