L’ablation d’un organe sain par le chirurgien cause un préjudice autonome.


  • L’indemnisation du préjudice moral résultant de l’ablation inutile d’un organe sain.

    L’article L. 1142-1 du code de la santé publique pose le principe de la responsabilité pour faute des médecins.

    Le droit français est également régi par le principe dit de réparation intégrale du préjudice. Ce principe a une conséquence simple : lorsqu’une personne est responsable d’un dommage, elle doit l’indemniser dans toutes ses dimensions afin de compenser avec le plus de précision possible l’atteinte illégitime subie par la victime.

    Le droit de la réparation est soumis à une tension permanente :

    D’un côté, il est indispensable, pour permettre une indemnisation juste et prévisible des préjudices de chacun, de catégoriser les différents préjudices selon des postes identifiés et dont la définition est connue tant des experts que des parties et des juges.

    De l’autre, il est important, pour ne pas amputer la réalité du dommage subi par les victimes, de savoir, lorsque cela est nécessaire, identifier des postes de préjudice qui sortent des catégories les plus communément admises, et de proposer une indemnisation adaptée aux cas individuels.

    Les victimes, et leurs conseils se doivent par conséquent de savoir innover lorsque cela est nécessaire, et de convaincre les juges du bien-fondé de leurs demandes de réparation exceptionnelles.

    Un récent arrêt de la Cour de Cassation est un bon exemple d’une telle situation.

    Les faits et la procédure :

    Dans le cas dont il est question ici, la victime avait fait appel à un chirurgien orthopédiste pour l’opérer après une subluxation rotulienne.

    Au cours de l’opération, le chirurgien décida de réaliser une exérèse de la bourse prérotulienne de son patient. Un geste qui, non content d’être inutile, généra des complications post-opératoires.

    Assignant le médecin devant le juge judiciaire, la victime demanda à être indemnisé d’un préjudice autonome, né de l’ablation fautive d’un corps sain par le chirurgien.

    La Cour d’Appel de Paris, par un arrêt du 16 décembre 2021, suivit le raisonnement de la victime et indemnisa cette dernière d’un préjudice autonome non circonscrit dans les catégories de préjudices communes (listés dans la nomenclature Dintilhac).

    L’assureur du médecin se pourvut en Cassation, affirmant que ce poste de préjudice était redondant des préjudices de souffrances endurées et de déficit fonctionnel permanent.

    La Cour de Cassation devait donc répondre à la question suivante :

    L’ablation inutile et fautive d’un corps sain par un médecin génère-t-elle un préjudice autonome ?

    La réponse de la Cour de cassation :

    Par un arrêt du 6 décembre 2023 (n°22-20.786), la Première chambre civile de la Cour de cassation répond à la positive, alignant sa position sur celle de la Cour d’Appel, en adoptant la motivation suivante :

    « 5. La cour d'appel a retenu que l'exérèse de la bourse prérotulienne était inutile et constitutive d'une faute du chirurgien et que M. [Z] avait subi un préjudice moral découlant de l'ablation d'un organe sain.

    6. Dès lors que les sommes allouées au titre du déficit fonctionnel permanent et des souffrances n'incluaient pas ce préjudice, dont elle avait constaté l'existence, elle a pu l'indemniser distinctement et n'a pas méconnu le principe d'une réparation intégrale sans pertes ni profit pour la victime.

    7. Le moyen n'est donc pas fondé. »

    En reconnaissant l’indépendance de ce préjudice, la Cour de Cassation prend une position favorable aux victimes de fautes médicales.

    La Cour reconnaît en effet que la perte d’un organe sain, causée par la faute du médecin, cause un préjudice moral à une victime allant au-delà de la seule souffrance causée le manque, et des seules pertes de facultés physiques qui en découlent.

    Cette reconnaissance d’un préjudice exceptionnel est logique, compte tenu de la nature exceptionnelle de la faute du médecin qui ôte un organe inutilement à son patient.

    Il est évident que le fait d’avoir été victime d’une erreur d’une telle ampleur, et d’avoir subi l’ablation chirurgicale d’un organe parfaitement fonctionnel, est un fait de nature à générer un préjudice moral dépassant les catégories classiques de préjudices, et devant être indemnisé en tant que tel.

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