Faute médicale en amont d'un accident médical non fautif: quelle indemnisation ?
Quel cumul entre accident médical fautif et accident médical non fautif ?
Par un arêt du 24 avril 2024, la Cour de cassation vient de modifier sa jurisprudence (https://www.legifrance.gouv.fr), s'alignant sur la jurisprudence administrative.
Les faits et la procédure:
Une patiente, présentant des douleurs dans la région latéro-pubienne a été prise en charge par un chirurgien d'un centre hospitalier, qui a procédé à une exploration sous anesthésie locale, sans déceler aucune hernie crurale ou inguinale. La persistance des douleurs a justifié la réalisation d'une IRM mettant en évidence une formation kystique sous-cutanée correspondant à une hernie inguinale atypique. Le chirurgien a ensuite procédé à un abaissement du tendon conjoint sur l'arcade crurale, ainsi qu'à la mise en place d'une plaque pour fermer l'orifice externe du canal inguinal. Au cours de cette intervention, la patiente a subi une atteinte du nerf génito-fémoral à l'origine d'une névralgie.
Elle a assigné en responsabilité le centre hospitalier, le chirurgien et l'ONIAM (Office National d'Indemnisation des Accidents Médicaux, des affections iatrogènes et des infections nococomiales).
L'ONIAM a été condamné à indemniser la victime de ses préjudices au titre de l'accident médical non fautif (ou aléa thérapeutique) survenu au décours de l'intervention chirurgicale.
Il a formé un pourvoi, faisant observer que lorsqu'une faute a été commise lors de la réalisation de l'acte médical qui est à l'origine du dommage, cette faute est exclusive d'une indemnisation au titre de la solidarité nationale fondée sur les risques que comportait cet acte.
Il indiquait que, dans ce cas d'espèce, les premiers juges avaient retenu que les fautes commises par le chirurgien, ayant consisté en l'absence de repérage et de traitement de la hernie durant la première intervention et en la pose inutile d'une plaque lors de la seconde intervention, avaient augmenté le risque d'atteinte névralgique inhérent aux interventions pratiquées.
Dès lors, selon l'ONIAM, en le condamnant à indemniser les conséquences du risque inhérent à ces interventions déduction faite du dommage correspondant à la majoration de ce risque imputable à la faute du chirurgien, la cour d'appel a mis à la charge de la solidarité nationale les conséquences d'un acte médical fautif et a violé l'article L. 1142-1 du code de la santé publique.
L'alignement de la Cour de cassation sur le Conseil d'Etat:
La Cour de cassation rejette le pourvoi de l'ONIAM selon une motivation claire et parfaitement détaillée:
"- Selon le I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, les professionnels de santé et les établissements, services ou organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins en cas de faute.
- Selon le II de ce texte, ouvrent droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un accident médical, une affection iatrogène, ou une infection nosocomiale, directement imputables à des actes de prévention de diagnostic ou de soins, ayant eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentant un caractère de gravité fixé par décret, lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I n'est pas engagée.
- Il s'en déduit que l'indemnisation au titre de la solidarité nationale présente un caractère subsidiaire et est exclue lorsqu'une faute est la cause du dommage corporel subi par le patient dont la réparation incombe alors au seul responsable.
- Cependant, lorsque la réparation mise à la charge du responsable consiste seulement en une perte de chance, la Cour de cassation a admis un complément d'indemnisation au titre de la solidarité nationale dans le cas d'un défaut d'information sur les risques d'une intervention au cours de laquelle est survenu un accident médical, ayant fait perdre au patient une chance de la refuser (1re Civ. 11 mars 2010, pourvoi n° 09-11.270, Bull. 2010, I, n° 63) ou d'une prise en charge fautive des conséquences d'un accident médical lui ayant fait perdre une chance d'en limiter les conséquences (1re Civ. 22 novembre 2017, pourvoi n° 16-24.769).
- Elle a, en revanche, exclu la possibilité d'un tel complément, fondé sur les risques que comportait l'acte médical, lorsque la faute a été commise lors de la réalisation de l'acte médical qui est à l'origine du dommage (1re Civ., 16 novembre 2016, pourvoi n° 15-20.611, Bull. 2016, I, n° 222).
- Si le Conseil d'Etat a adopté la même jurisprudence dans le cas d'un défaut d'information ou d'une prise en charge fautive des conséquences d'un acte médical (CE, 30 mars 2011, n° 327669, publié au Recueil Lebon ; CE, 12 décembre 2014, ONIAM c. [N], n° 355052, publié au Recueil Lebon), il n'a, en revanche, écarté la possibilité d'un complément d'indemnisation au titre de la solidarité nationale que dans l'hypothèse où un acte fautif ou le défaut d'un produit de santé est la cause directe de l'accident médical (CE, 15 octobre 2021, n° 431291, publié au Recueil Lebon).
- L'admission d'un complément d'indemnisation par la solidarité nationale lorsque la faute commise n'est à l'origine que d'une perte de chance d'échapper à l'accident médical, y compris dans le cas d'une faute ayant accru les risques de survenue d'un accident médical, permet au patient d'obtenir une indemnisation intégrale de son dommage corporel.
- Elle permet aussi d'éviter que la victime d'un accident médical soit moins bien indemnisée lorsqu'une faute aggravant les risques de sa réalisation a, en outre, été commise et d'assurer une égalité de traitement entre les victimes quelle que soit la nature de l'établissement, public ou privé, dans lequel les actes ont été réalisés.
- Il y a donc lieu de juger désormais que, dans l'hypothèse où un accident médical non fautif est à l'origine de conséquences dommageables mais où une faute a augmenté les risques de sa survenue et fait perdre une chance à la victime d'y échapper, un tel accident ouvre droit à réparation au titre de la solidarité nationale si ses conséquences remplissent les conditions posées au II de l'article L. 1142-1 du même code, l'indemnité due par l'ONIAM étant réduite du montant de celle mise, le cas échéant, à la charge du responsable de la perte de chance.
- Après avoir admis l'existence de fautes du chirurgien dans la prise en charge de Mme [U] ayant augmenté le risque d'atteinte du nerf génito-fémoral inhérent à l'intervention du 4 mars 2009 et lui ayant fait perdre une chance de 50 % d'échapper à sa réalisation, la cour d'appel a retenu que cette atteinte constituait un accident médical directement imputable à cette intervention et que cet accident avait eu pour Mme [U] des conséquences anormales au regard de son état de santé et présentait le caractère de gravité prévu à l'article L. 1141-2, II, du code de la santé publique.
- C'est dès lors à bon droit qu'elle en a déduit que l'ONIAM devait l'indemniser de ses préjudices, déduction faite de l'indemnité mise à la charge du centre hospitalier et de son assureur."
Cette position est évidemment favorable aux victimes en ce qu'elle permet une indemnisation intégrale de ses préjudices.
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