Infection nosocomiale: quelles causes d'exonération de responsabilité pour l'établissement de soins ?
La présomption de responsabilité des établissements de soins:
Aux termes de l’article L. 1142-1 I alinéa 2 du code de la santé publique, les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère.
La loi du 4 mars 2002 a ainsi mis en place une présomption de responsabilité des établissements de soins en cas d’infection nosocomiale. L’infection nosocomiale est l’infection liée aux soins, dont il est démontré qu’elle était absente au moment de la prise en charge médicale ou hospitalière. L’indemnisation des conséquences des infections nosocomiales est mise à la charge des établissements de soins (cliniques et hôpitaux) jusqu’à un certain de seuil de gravité. Au-delà, elle est mise à la charge de l’ONIAM.
Le régime d’indemnisation des conséquences des infections nosocomiales a connu une évolution jurisprudentielle favorable depuis plusieurs années. Il est ainsi admis qu’il n’y a pas lieu de distinguer selon que les germes à l’origine de l’infection sont endogènes (dont l’organisme est naturellement porteur) ou exogènes (présents dans l’environnement extérieur). Il est également admis que la particulière vulnérabilité (comme l'immunodépression) du patient ne permet d’exclure le caractère nosocomial de l’infection.
Par un arrêt du 4 septembre 2024 (courdecassation), la Cour de cassation vient de se prononcer sur ces aspects.
Les faits et la procédure:
Un patient a été pris en charge dans un établissement de soins pour le traitement d'une leucémie aiguë. Après avoir subi une allogreffe de moelle osseuse, il a présenté une maladie du greffon contre l'hôte sévère et de nombreux épisodes infectieux conduisant à son décès.
Après un échec de la procédure de règlement amiable et l'obtention d'une expertise en référé, ses ayants droit ont assigné en responsabilité et indemnisation l’établissement de soins et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM).
Les premiers juges les ont déboutés de leurs demandes au motif que les infections en cause ne seraient pas nosocomiales.
Ils ont en effet jugé que les bactéries étaient d'origine endogène et que l'infection avait été favorisée par le traitement renforçant l'immunodépression.
Les ayants droit de la victime ont formé un pourvoi, faisant observer que « que présente un caractère nosocomial une infection qui survient au cours et au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge, peu important son origine exogène ou endogène ; que ni le caractère endogène du germe à l'origine de l'infection, ni les prédispositions pathologiques de la victime ne permet d'exclure le caractère nosocomial d'une infection ».
Ils soutenaient donc que la cour d'appel avait violé les dispositions de l'article L. 1142-1 I alinéa 2 du code de la santé publique.
La confirmation de la jurisprudence antérieure:
La Cour de cassation casse l'arrêt de la Cour d'appel selon la motivation suivante:
"Vu les articles L. 1142-1, I, alinéa 2, et L. 1142-1-1 du code de la santé publique :
- Selon le premier de ces textes, les établissements, services ou organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère.
- Selon le second, ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale, les dommages résultant d'infections nosocomiales dans ces établissements, services ou organismes correspondant à un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 %, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales.
- Doit être regardée, au sens de ces dispositions, comme présentant un caractère nosocomial, une infection qui survient au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge.
- Il s'en déduit que l'infection causée par la survenue d'une affection iatrogène présente un caractère nosocomial comme demeurant liée à la prise en charge.
- Pour écarter le caractère nosocomial des infections présentées par [G] [K], l'arrêt retient que les experts ont imputé l'origine des infections à la maladie du greffon contre l'hôte qui altérait de manière profonde la barrière cutanéomuqueuse et au traitement de cette maladie par de fortes doses de corticoïdes, pourtant indispensables vu la gravité de la maladie, qui ont renforcé l'immunodépression et que les infections ont été vraisemblablement causées par des bactéries dont le malade était porteur.
- En statuant ainsi, par des motifs tirés du caractère endogène du germe à l'origine de l'infection, alors qu'elle avait constaté que la maladie du greffon contre l'hôte était elle-même consécutive à l'allogreffe de la moelle osseuse réalisée lors de la prise en charge du patient atteint d'une leucémie aigüe, la cour d'appel a violé les textes susvisés."
La Cour de cassation confirme ainsi sa jurisprudence favorable aux victimes: ni la nature endogène du germe à l'origine de l'infection, ni l'immunodépression du patient, ne constituent une cause étrangère au sens de l'aticle L. 1142-1 I alinéa 2 du code de la santé publique.
En l'espèce, en raison du décès du patient, l'indemisation des préjudices de la victime et de ses proches est mise à la charge de l'ONIAM.
Cette affaire démontre la nécessité de se faire assister d'un avocat spécialiste et d'un médecin conseil au cours des opérations d'expertise en matière d'infection nosocomiale, et ce même si le régime de responsabilité apparaît favorable en son principe, les experts pouvant conclure dans un sens défavorable et être suivis par les juges.
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