Compte-rendu opératoire incomplet et preuve du manquement du chirurgien.
Lors d’une expertise médicale, le dossier médical est un élément majeur puisqu’il permet non seulement de retracer l’historique de la prise en charge du patient, mais également d’apprécier la qualité de cette prise en charge.
Dans l’hypothèse d’un dossier médical manquant ou incomplet, le patient se trouve face à une difficulté de preuve : comment démontrer la non-conformité des soins en l’absence de traçabilité de ceux-ci ?
En effet, en vertu des dispositions de l’article 1353 du code civil, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver.
En revanche, selon le même texte, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.
La jurisprudence s’est déjà prononcée dans le cas de dossiers médicaux perdus, estimant qu’il en résulte pour le patient une perte de chance de démontrer la survenue d’un accident médical. (legifrance.gouv.fr)
La jurisprudence a également déjà opéré un renversement de la charge de la preuve dans l’hypothèse d’éléments manquants dans le dossier médical alors que ces éléments sont déterminants. Il s’agit notamment de dossiers relatifs à des accidents médicaux survenus lors d’accouchements. (legifrance.gouv.fr ; legifrance.gouv.fr)
La Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer récemment dans le cas d’un compte-rendu opératoire incomplet.
Les faits :
Un patient a subi une arthroscopie de hanche réalisée par un chirurgien orthopédiste. Au cours de l'intervention, une rupture d'une broche guide métallique est survenue. En raison de la persistance de douleurs importantes, une arthroplastie a dû être pratiquée.
Après avoir obtenu une expertise en référé, le patient a assigné en responsabilité et indemnisation le chirurgien.
La Cour d’appel a débouté le patient.
Elle a en effet relevé qu’il ressortait du rapport d’expertise que la Société française d'arthroscopie (SFA) recommandait lors d'une arthroscopie de hanche de commencer l'intervention par une introduction d'air puis de sérum physiologique dans l'articulation afin de faciliter la distraction articulaire et la mise en place des dilatateurs articulaires
Le rapport d’expertise mentionnait que cette introduction n'était pas retranscrite dans le compte-rendu opératoire mais que le chirurgien avait indiqué y recourir systématiquement.
La Cour d’appel a dès lors retenu que l'état séquellaire du patient, en lien direct avec la rupture de la broche pouvait avoir deux origines distinctes, soit sa constitution anatomique, étant de surcroît atteint d'arthrose, soit un manquement du chirurgien qui n'aurait pas suivi la recommandation de la SFA, ce qui ne constituait qu'une hypothèse, non avérée, de sorte que le patient n'établissait pas l'existence d'une faute du chirurgien.
Le patient a formé un pourvoi à l’encontre de cette décision.
La sanction de la non-conformité du compte-rendu opératoire :
Par un arrêt du 16 octobre 2024 (legifrance.gouv.fr), la première chambre civile de la Cour de cassation accueille favorablement le pourvoi et casse par conséquent la décision d’appel, retenant la motivation suivante :
"Vu les articles L. 1142-1, I, alinéa 1er, du code de la santé publique et 1353 du code civil :
- Il résulte de ces textes que les professionnels de santé sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins en cas de faute et que la preuve d'une faute comme celle d'un lien causal avec le dommage invoqué incombe au demandeur.
- Cependant, dans le cas d'une absence ou d'une insuffisance d'informations sur la prise en charge du patient, plaçant celui-ci ou ses ayants droit dans l'impossibilité de s'assurer que les actes de prévention, de diagnostic ou de soins réalisés ont été appropriés, il incombe alors au professionnel de santé d'en rapporter la preuve."
La Cour de cassation juge qu’en l'absence d'éléments permettant d'établir que la recommandation précitée avait été suivie, il appartenait au médecin d'apporter la preuve que les soins avaient été appropriés.
Il s’agit d’une juste décision puisqu’il ne saurait suffire que le chirurgien « complète » oralement son compte-rendu opératoire lors de la réunion d’expertise, et ce de manière totalement opportune.
Elle permet également d’insister sur l’importance de la rédaction de comptes-rendus précis et de la bonne tenue des dossiers médicaux pour les professionnels de santé.
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