Pose d’une prothèse défectueuse et responsabilité du chirurgien


  • Responsabilité pour faute du chirurgien libéral du fait de la fourniture d’un produit ou matériel défectueux, contrairement à la solution retenue en matière de responsabilité hospitalière.

    Les faits

    Un patient avait bénéficié successivement de la pose de prothèses de hanche droite et gauche en 2004 et 2005. Il est victime d’une chute en 2007 en raison de la rupture de l’une des prothèses. Il est alors nécessaire de remplacer la tige fémorale de la prothèse. Le patient conserve toutefois des séquelles.

    Il engage alors une action en responsabilité et indemnisation à l’encontre du chirurgien ayant posé la prothèse défectueuse et du producteur de celle-ci.

    Les juges du fond ont écarté la responsabilité du chirurgien et retenu la responsabilité du fabricant de la prothèse.

    La Cour de cassation est saisie d’un pourvoi formé par ce dernier, la victime de l’accident médical ayant pour sa part formé un pourvoi incident.

    Par un arrêt du 26 février 2020, la Cour de cassation rejette le pourvoi du producteur de la prothèse défectueuse, validant la motivation de l’arrêt de la cour d’appel :

    « L'arrêt retient, en se fondant sur les constatations de l'expert, que la rupture de la prothèse a provoqué la chute de M. H..., que cette rupture n'est pas imputable au surpoids de ce dernier, qu'aucune erreur n'a été commise dans le choix et la conception de la prothèse ni lors de sa pose et que le point de fracture se situe à la base, dans la zone de faiblesse de toute prothèse de hanche. Il ajoute que la tige fémorale posée le 15 octobre 2004 ne présentait pas la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s'attendre.

    De ces constatations et énonciations souveraines ne procédant pas de dénaturations, la cour d'appel, qui n'était pas liée par les conclusions expertales, a pu déduire que la rupture prématurée de la prothèse était due à sa défectuosité, de sorte que se trouve engagée la responsabilité de droit du producteur à l'égard de M. H.... »

    Il s’agit de l’application d’une jurisprudence classique.

    S’agissant du pourvoi incident formé par la victime, la Cour de cassation rappelle également sa jurisprudence concernant la responsabilité du professionnel de santé privé fournisseur d’un produit défectueux.

    La victime faisait en effet valoir que la pose d’une prothèse défectueuse par le chirurgien engageait la responsabilité de celui-ci.

    La Cour de cassation rappelle donc que la responsabilité d’un professionnel de santé privé ne saurait suivre le régime de responsabilité applicable aux professionnels de santé publics, lesquels sont soumis à une obligation de sécurité relativement aux produits de santé qu’ils utilisent.

    Elle précise en effet :

    « - qu’aux termes de l’article L. 1142-1 I du code de la santé publique, les professionnels de santé et les établissements dans lesquels sont diligentés des actes de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables de tels actes qu'en cas de faute, hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé.

    - que cette exception au principe d'une responsabilité pour faute est liée au régime de responsabilité du fait des produits défectueux instauré par la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 ayant transposé aux articles 1386-1 à 1386-18, devenus 1245 à 1247 du code civil, la directive CEE n° 85/374 du 25 juillet 1985…

    - qu’il en résulte que la responsabilité de droit d'un professionnel de santé ou d'un établissement de santé, sur le fondement de cette disposition, ne peut être engagée que dans le cas où le producteur n'a pu être identifié et où le professionnel de santé ou l'établissement de santé n'a pas désigné son propre fournisseur ou le producteur dans le délai imparti.

    - que par ailleurs, saisie par le Conseil d'Etat (CE, 4 octobre 2010, centre hospitalier universitaire de Besançon, n° 327449), de la question de la compatibilité avec la directive précitée du régime de responsabilité sans faute du service public hospitalier, selon lequel, sans préjudice d'éventuels recours en garantie, celui-ci est responsable, même en l'absence de faute de sa part, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu'il utilise (CE, 9 juillet 2003, AP-HP c/ Mme Marzouk, n° 220437), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que : « La responsabilité d'un prestataire de services qui utilise, dans le cadre d'une prestation de services, telle que des soins dispensés en milieu hospitalier, des appareils ou des produits défectueux dont il n'est pas le producteur (…) et cause, de ce fait, des dommages au bénéficiaire de la prestation, ne relève pas du champ d'application de cette directive. Cette dernière ne s'oppose dès lors pas à ce qu'un Etat membre institue un régime, tel que celui en cause en principal, prévoyant la responsabilité d'un tel prestataire à l'égard des dommages ainsi occasionnés, même en l'absence de toute faute imputable à celui-ci, à condition, toutefois, que soit préservée la faculté pour la victime et/ou ledit prestataire de mettre en cause la responsabilité du producteur sur le fondement de ladite directive, lorsque se trouvent remplies les conditions prévues par celle-ci. » (CJUE, arrêt du 21 décembre 2011, centre hospitalier de Besançon, n° C-495/10).

    - qu’à la suite de cette décision, le Conseil d'Etat a maintenu le régime de responsabilité sans faute du service public hospitalier (CE, 12 mars 2012, CHU Besançon, n° 327449) et l'a étendu au cas dans lequel ce service implante, au cours de la prestation de soins, un produit défectueux dans le corps d'un patient, tel qu'une prothèse (CE, section, 25 juillet 2013, M. Falempin, n° 339922) …

    - que l'instauration par la loi du 19 mai 1998 d'un régime de responsabilité de droit du producteur du fait des produits défectueux, les restrictions posées par l'article 1386-7, devenu 1245-6 du code civil à l'application de ce régime de responsabilité à l'égard des professionnels de santé et des établissements de santé, la création d'un régime d'indemnisation au titre de la solidarité nationale des accidents médicaux non fautifs et des affections iatrogènes graves sur le fondement de l'article L. 1142-1, II, du code de la santé publique et le fait que les professionnels de santé ou les établissements de santé privés peuvent ne pas être en mesure d'appréhender la défectuosité d'un produit, dans les mêmes conditions que le producteur, justifient, y compris lorsque se trouve applicable l'article L. 1142-1, alinéa 1er, de ce code, de ne pas soumettre ceux-ci, hors du cas prévu par l'article 1245-6 précité, à une responsabilité sans faute, qui serait, en outre, plus sévère que celle applicable au producteur, lequel, bien que soumis à une responsabilité de droit, peut bénéficier de causes exonératoires de responsabilité. »

    La motivation de la Cour de cassation contient donc un rappel exhaustif des régimes de responsabilité civile et administrative.

    Il est surtout rappelé que ne peut peser sur le professionnel de santé privé qu’une responsabilité pour faute lorsqu’il utilise un produit défectueux. Cela signifie qu’il appartient à la victime de prouver la faute du chirurgien.

    La Cour de cassation maintient donc sa jurisprudence, laquelle apparaît moins favorable pour les victimes que la jurisprudence du Conseil d’Etat.

    En matière de responsabilité hospitalière, la victime bénéficie en effet d’un régime de responsabilité sans faute des centres hospitaliers. Ainsi, elle n’a qu’à prouver la défectuosité du matériel ou produit utilisé et le dommage en résultant pour elle. De plus, sur le plan procédural, la victime n’exerce de recours que contre le centre hospitalier, à charge éventuellement pour celui-ci de se retourner ultérieurement contre le producteur dans le cadre d’un recours n’intéressant plus alors la victime.

    Du fait de la technicité de ces règles, et de la différence des régimes de responsabilité privée et publique, il est nécessaire que les victimes soient conseillées par un avocat spécialiste en droit du dommahe corporel et maîtrisant ces différents aspects.

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