La preuve du lien entre un dommage et une vaccination obligatoire.
Le Conseil d’Etat vient de confirmer sa jurisprudence relative à la preuve du lien entre un dommage et une vaccination obligatoire, dont nous avions déjà fait état. (vlh-avocats)
Les faits :
Un patient, vacciné en 1994 et 1995 contre le virus de l'hépatite B, à titre obligatoire, pendant son service national, a souffert à partir de septembre 1995 de divers troubles qu'il a attribués à cette vaccination, en lien avec une myofasciite à macrophages par ailleurs diagnostiquée en 1997.
Il a bénéficié pour ce motif, à partir de 2001, d'une pension militaire d'invalidité. Le ministre de la défense a toutefois rejeté sa demande d'indemnisation des préjudices non réparés par cette pension.
Le tribunal administratif a rejeté à son tour la demande de la victime tendant à l'indemnisation de ces préjudices.
Pour rejeter l'appel formé contre ce jugement, la cour administrative d'appel a analysé les observations d'ordre général de l'Académie nationale de médecine qu'elle avait sollicitées, et en a déduit : "qu'en l'état des connaissances scientifiques (...), aucune probabilité d'un lien de causalité entre l'injection du vaccin contre le virus de l'hépatite B contenant ou non un adjuvant aluminique et la survenue de symptômes pouvant se rattacher aux manifestations cliniques caractéristiques d'une myofasciite à macrophages ne peut être retenue ".
Un pourvoi a été formé par la victime.
Le rappel des principes en matière de vaccination obligatoire :
Le Conseil d'Etat prend soin de rappeler les principes et la jurisprudence en matière d'indemnisation des dommages imputés à une vaccination obligatoire :
"Saisis d'un litige individuel portant sur la réparation des conséquences pour la personne concernée d'une vaccination présentant un caractère obligatoire, il appartient aux juges du fond, dans un premier temps, non pas de rechercher si le lien de causalité entre la vaccination et l'affection présentée est ou non établi, mais de s'assurer, au vu du dernier état des connaissances scientifiques en débat devant eux, qu'il n'y a aucune probabilité qu'un tel lien existe. Il leur appartient ensuite, soit, s'il ressort de cet examen qu'il n'y a aucune probabilité qu'un tel lien existe, de rejeter la demande, soit, dans l'hypothèse inverse, de procéder à l'examen des circonstances de l'espèce et de ne retenir alors l'existence d'un lien de causalité entre la vaccination obligatoire subie par la victime et les symptômes qu'elle a ressentis que si ceux-ci sont apparus, postérieurement à la vaccination, dans un délai normal pour ce type d'affection, ou se sont aggravés à un rythme et une ampleur qui n'étaient pas prévisibles au vu de son état de santé antérieur ou de ses antécédents et, par ailleurs, qu'il ne ressort pas du dossier qu'ils peuvent être regardés comme résultant d'une autre cause que la vaccination.
Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que des travaux scientifiques, conduits pour l'essentiel par une équipe du centre hospitalier universitaire Henri Mondor à partir de 1998, ont formulé l'hypothèse d'un lien entre l'administration de vaccins comportant des adjuvants à base de sels d'aluminium et la survenance d'un ensemble de symptômes de douleurs musculaires et articulaires, d'asthénie et de troubles cognitifs rattachés à la myofasciite à macrophages et qu'en 1999, puis à nouveau en 2002, l'Organisation mondiale de la santé a recommandé de mener des recherches complémentaires sur cette question. Les observations d'ordre général de l'Académie nationale de médecine, sollicitées par la cour administrative d'appel de Nantes, après avoir rappelé ces éléments, indiquent que les recherches ultérieures, ainsi que plusieurs rapports consacrés aux adjuvants vaccinaux par l'Académie nationale de médecine en 2012, le Haut conseil de la santé publique en 2013 et l'Académie nationale de pharmacie en 2016, ont permis d'établir un lien entre les vaccinations comportant, à l'instar de celle reçue par M. D..., des adjuvants à base de sels d'aluminium et l'existence de lésions histologiques autour du site d'injection, constitutives de la myofasciite à macrophages, mais n'ont jamais validé l'association entre ces lésions et les signes cliniques mentionnés ci-dessus et relevés chez certains des patients qui en étaient atteints, ce dont elles concluent que le " rôle éventuel [des adjuvants à base de sels d'aluminium] dans la mise en oeuvre d'une maladie clinique générale, qu'elle soit inflammatoire et/ou auto-immune (...) n'est pas démontré à ce jour ".
Il résulte de l'ensemble des éléments relevés par l'arrêt attaqué et rappelés au point 4 ainsi que des autres pièces du dossier soumis aux juges du fond que si aucun lien de causalité n'a pu être établi à ce jour entre l'administration de vaccins contenant des adjuvants à base de sels d'aluminium et des symptômes de douleurs musculaires et articulaires, d'asthénie et de troubles cognitifs susceptibles d'être rattachés aux lésions histologiques caractéristiques de la myofasciite à macrophages retrouvées, chez les patients concernés, autour du site d'injection, l'hypothèse qu'un tel lien existe a été envisagée par des travaux de recherche scientifique ayant donné lieu à des publications dans des revues reconnues, qui ne sont pas formellement démentis par les données actuelles de la science, notamment pas par les observations d'ordre général de l'Académie nationale de médecine précédemment mentionnées, qui se bornent à faire la synthèse de travaux déjà connus, sans s'appuyer sur des travaux de recherche ou une méthodologie d'analyse nouveaux, et qui ne concluent, au demeurant, qu'à l'absence de démonstration de l'existence d'un lien entre vaccin contenant des adjuvants aluminiques et symptômes déjà mentionnés. Dès lors, en jugeant qu'au vu du dernier état des connaissances scientifiques en débat devant elle, il n'y avait aucune probabilité qu'existe un lien entre ces symptômes et la vaccination contre l'hépatite B, la cour administrative d'appel de Nantes a inexactement qualifié les faits de la cause."
La reconnaissance d'un lien de causalité au regard des connaissances scientifiques :
Aux termes de son arrêt en date du 7 novembre 2024 (conseil-etat), le Conseil d’Etat applique ces principes au cas d’espèce qui lui était soumis pour reconnaître le lien entre la vaccination et la myofasciite à macrophages :
"Ainsi qu'il a été dit aux points 4 et 5, la probabilité de l'existence d'un lien de causalité entre l'administration d'un vaccin contenant des adjuvants à base de sels d'aluminium et les symptômes de douleurs musculaires et articulaires, d'asthénie et de troubles cognitifs susceptibles d'être rattachés à la myofasciite à macrophages ne peut, dans le dernier état des connaissances scientifiques, être regardée comme exclue. Il y a donc lieu, de faire application des principes énoncés au point 2, en examinant, dans les circonstances de l'espèce, si les symptômes sont apparus, postérieurement à la vaccination, dans un délai normal pour ce type d'affection, ou se sont aggravés à un rythme et une ampleur qui n'étaient pas prévisibles au vu de l'état de santé antérieur ou des antécédents de l'intéressé et, par ailleurs, s'il ne ressort pas du dossier qu'ils peuvent être regardés comme résultant d'une autre cause que la vaccination litigieuse.
Il résulte de l'instruction, notamment des documents médicaux produits au dossier, que M. D..., qui a reçu, les 3 mai, 29 juin, 22 août 1994 et le 8 février 1995 des injections du vaccin contre l'hépatite B, contenant des adjuvants à base de sels d'aluminium, a ressenti à partir de septembre 1995 des troubles consistant en des douleurs musculaires, et un état d'essoufflement et de fatigue généralisée, qui se sont aggravés et ont conduit à plusieurs hospitalisations à partir de décembre 1995, et auxquels se sont ajoutés des troubles cognitifs. Une biopsie réalisée en mars 2017 a mis en évidence des lésions de myofasciite à macrophages autour des sites d'injection. Le délai d'apparition des symptômes, inférieur à un an, peut être considéré comme normal pour une affection liée à la myofasciite à macrophages et se caractérisant par les symptômes manifestés. Contrairement à ce que soutient le ministre de la défense et des armées, il ne résulte pas de l'instruction qu'une autre cause que les vaccinations reçues par l'intéressé puisse être retenue pour expliquer ces symptômes. Il en résulte que, dans les circonstances de l'espèce, le lien de causalité entre la vaccination contre l'hépatite B reçue par M. D... dans le cadre de son service national et les symptômes dont il est atteint doit être regardé comme établi et que, dès lors, l'intéressé est fondé à soutenir que la responsabilité de l'Etat est engagée au titre des dispositions de l'article L. 62 du code du service national."
Cet arrêt confirme la position favorable du Conseil d'Etat jugeant que le juge administratif ne peut rejeter une demande d'indemnisation des préjudices imputables à une vaccination obligatoire que si, au vu des connaissances scientifiques du moment, il n’y avait aucune probabilité qu’un lien de causalité entre le vaccin et les effets secondaires subis par le patient existe.
En effet, en l’état actuel des connaissances scientifiques, il n’est pas possible d’établir qu’il n’existe aucune probabilité d’un tel lien de causalité.
Cela implique que le juge doit procéder à l'examen de la chronologie d'apparition des symptômes et s'assurer qu'aucune autre cause n'explique leur apparition.
Cette jurisprudence est parfaitement justifiée en matière de vaccination au vu des difficultés à rapporter la preuve d'un tel lien de causalité.
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